Labyrinthe
Raymond-Roger s'était aussi déroulée en ces lieux. Et seulement deux ans après la naissance de son héritier, issu de ses épousailles avec Agnès de Montpellier, il avait décidé d'occuper les vieux murs du château. Il s'était agenouillé dans la même petite chapelle que ses parents, avait dormi dans le même lit de chêne, celui-là même où il avait vu le jour, et, les soirs d'été, s'était penché à la même fenêtre pour regarder le crépuscule embraser le pays d'oc.
À première vue, avec ses cheveux bruns effleurant ses épaules et ses mains derrière le dos, Trencavel semblait calme et détendu. L'insistance avec laquelle il fixait la grande porte trahissait toutefois son anxiété.
L'intendant Pelletier suait abondamment. Ses vêtements adhéraient désagréablement à ses aisselles et au bas de son dos. Outre le poids des ans, il éprouvait un sentiment d'inadéquation devant la tâche à laquelle il était confronté.
Il avait espéré que quelques bouffées d'air frais lui éclairciraient l'esprit. Mais rien n'y fit. Il s'en voulait d'avoir perdu son sang-froid, et d'avoir laissé l'animosité que lui inspirait son gendre le détourner de ses responsabilités. Néanmoins, il ne pouvait se permettre de s'y appesantir. Il lui serait toujours loisible d'en débattre avec le jeune homme si besoin était. En cet instant précis, sa place était au côté du vicomte Trencavel.
Siméon occupait, lui aussi, une bonne place dans ses pensées. Pelletier éprouvait encore la peur tétanisante qui s'était saisie de lui quand il avait retourné le cadavre immergé, et le soulagement qui s'était ensuivi devant cet étranger au visage boursouflé, au regard sans vie.
Dans l'enceinte du grand vestibule, la chaleur était suffocante. Plus d'une centaine d'hommes d'Église ou d'hommes d'État s'y pressait, ruisselant de sueur, d'anxiété et de vin, dans un brouhaha incessant de conversations animées.
En le voyant, les serviteurs empressés s'inclinèrent et le servirent de vin. À l'extrémité de la grande salle, sur une rangée de chaises à haut dossier, semblables à celles qui l'accueillaient à la cathédrale Sant-Nasari, se tenait une bonne part de la noblesse du Midi : les seigneurs de Mirepoix et de Fanjeaux, de Coursan et de Termenès, d'Albi et de Mazamet. Bien qu'ils eussent tous été invités à Carcassonne pour la célébration des fêtes de la Sant-Nasari, ils se voyaient tenus, quelle que fût leur répugnance, d'assister à ce conseil extraordinaire. Pelletier remarquait une égale inquiétude sur les visages.
Il se fraya un chemin à travers un groupe d'hommes, consuls de Carcassonne ou notables de Sant-Vincens et de Sant-Miquel, scrutant chaque détail de son regard exercé sans rien laisser paraître. Hommes d'Église et moines attendaient dans l'ombre, visage à demi caché sous le capuchon, mains enfouies dans les manches de leur robe noire.
Les chevaliers de Carcassonne, auxquels s'était joint Guilhem du Mas, s'étaient rassemblés au pied de la cheminée monumentale qui occupait la presque totalité du mur opposé à l'entrée. Jehan Congost, escrivan et scribe du vicomte, mais aussi époux d'Oriane, fille aînée de Pelletier, était installé au pupitre qui lui était dévolu.
Quand Pelletier se présenta devant le dais pour s'incliner devant le vicomte, ce dernier parut grandement soulagé.
« Mille pardons, messire…
— Peu importe, Bertrand, répondit le vicomte en l'invitant d'un geste à se joindre à lui. L'essentiel est que vous soyez parmi nous. »
Les deux hommes échangèrent quelques mots à voix basse, en sorte que nul ne les entendît, puis, sur les instances de Trencavel, Pelletier s'avança pour s'adresser à l'assemblée.
« Messeigneurs, déclara-t-il, je requiers de vous le silence aux fins d'ouïr votre suzerain, Raymond-Roger Trencavel, vicomte de Carcassona, de Besièrs et d'Albi. »
Trencavel s'avança, paumes tournées vers le ciel en signe de bienvenue. Les conversations s'interrompirent. Nul ne bougeait, ni ne soufflait plus mot.
« Benvenguda , messeigneurs et loyaux feudataires. Soyez les bienvenus à Carcassona, déclara-t-il d'une voix ferme et posée qui faisait mentir son jeune âge. Je rends grâce à votre patience. Ma gratitude de vous voir céans vous est d'ores et déjà acquise. »
Pelletier parcourut des yeux l'océan des visages qui entourait le dais, espérant ainsi jauger l'état d'esprit qui régnait dans
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