Labyrinthe
fromage frais et le lui étala sur les lèvres. Guilhem murmura, avant de s'étirer sous les draps. La paupière frémissante, il tâtonna en direction d'Alaïs avec un sourire enjôleur.
La jeune femme retint son souffle. On eût dit que l'air vibrait d'impatience cependant qu'il l'attirait contre lui.
Des pas lourds et précipités provenant des couloirs mirent brutalement un terme à cet instant d'intimité. Quelqu'un appelait Guilhem à cor et à cri. Une voix autoritaire déformée par la colère. Peu désireuse d'être surprise en pareille posture, Alaïs se releva en remettant fébrilement de l'ordre dans son vêtement. L'intendant Pelletier, suivi de François, entra en trombe dans la pièce, alors que Guilhem ouvrait à peine les yeux.
« Vous êtes en retard, du Mas ! rugit-il en s'emparant d'un vêtement pour le lui lancer au visage. Levez-vous. Le conseil est réuni dans le grand vestibule 1 , on n'y attend que vous.
— Le grand vestibule ? sursauta Guilhem.
— Le vicomte Trencavel vous fait mander, quand vous vous prélassez encore sur votre couche ! tempêta-t-il en dominant son gendre de toute sa stature. Croyez-vous n'avoir qu'à vous soucier de votre bon plaisir ? Alors, qu'avez-vous à répondre à cela ? » Puis de se radoucir en découvrant sa fille prudemment en retrait à l'autre extrémité du lit : « Pardonnez-moi, filha , je ne vous avais point vue. Vous sentez-vous mieux, à présent ?
— Pour vous complaire, messire, acquiesça-t-elle en inclinant humblement la tête.
— Comment cela, mieux ? s'alarma Guilhem. Seriez-vous mal portante ?
— Levez-vous, du Mas ! trancha Pelletier en revenant à son gendre. Vous avez pour vous apprêter le temps qu'il me faut pour quitter ces lieux et franchir la grande cour. Si d'ici là vous n'avez pas rejoint le grand vestibule, attendez-vous au pire ! »
Tournant les talons, Pelletier quitta la chambre sans desserrer les lèvres.
Dans le silence assourdissant qui suivit le départ de son père, Alaïs resta immobile, comme figée, ne sachant dire pour qui, d'elle ou de son mari, elle était le plus embarrassée.
« Comment ose-t-il entrer céans et me traiter comme un laquais ? Pour qui se prend-il ? explosa Guilhem en repoussant violemment les couvertures, avant de se rengorger, sarcastique : Ah oui ! Le devoir, bien sûr… Cela ne saurait faire attendre le grand intendant Pelletier ! »
Alaïs se disait entre-temps que renchérir ne ferait qu'empirer les choses. Elle aurait aimé apprendre à Guilhem l'incident de la rivière, ne fût-ce que pour calmer son ire. Puis elle se rappela sa promesse à son père de n'en parler à quiconque.
Guilhem avait déjà traversé la chambre et, tournant le dos à Alaïs, passait sa tunique et bouclait son ceinturon, exprimant sa nervosité par des mouvements vifs et saccadés.
« Des nouvelles sont peut-être parvenues…, hasarda la jeune femme.
— Cela n'est point une excuse, fit-il d'un ton tranchant. Nul ne m'en a avisé.
— Je… »
À court de mots, Alaïs se contenta de lui tendre sa cape.
« Serez-vous absent longtemps ? souffla-t-elle.
— Comment le saurais-je, quand j'ignore les raisons pour lesquelles je suis requis ? » répliqua-t-il toujours courroucé.
Finalement sa colère retomba. Il parut se détendre et, quand il fit face à son épouse, sa mine querelleuse avait disparu.
« Pardonnez-moi, Alaïs. Vous ne pouvez répondre de l'attitude de votre père. Venez, aidez-moi », murmura-t-il en lui caressant la ligne du menton.
Guilhem se baissa pour lui faciliter la tâche ; Alaïs dut toutefois se hisser sur la pointe des pieds pour refermer la fibule de cuivre et d'argent qui retenait sa cape.
« Mercé, mon còr , dit-il quand elle eut terminé. Allons voir ce qui nous vaut ce hourvari. Probablement une affaire sans conséquence.
— Un émissaire arrivait, ce matin, au moment où nous rentrions à cheval dans la Cité », avança distraitement Alaïs.
L'instant d'après, elle s'admonestait intérieurement. Fort de cette nouvelle, Guilhem n'allait pas manquer de l'interroger sur cette sortie matinale, avec son père qui plus est. Par bonheur, le jeune homme était occupé à récupérer son épée glissée la veille sous le lit, aussi ne prêta-t-il pas attention à ces dernières paroles.
Elle gémit au son rude et métallique de l'épée qu'il mettait dans son fourreau. Il évoquait avant toute chose le départ de son époux.
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