Labyrinthe
mois auparavant. Il n'empêche qu'Alice ne comprenait toujours pas pourquoi Shelagh se mettait dans un tel état.
Alice regarda en contrebas. Son amie était presque hors de vue, sa silhouette élancée se fondant entre broussailles et genêts. L'eût-elle voulu qu'elle n'aurait eu aucune chance de la rattraper.
Elle soupira. Elle tournait à vide. Comme toujours . Se débrouillait toute seule. C'est mieux comme ça . De nature très indépendante, elle préférait ne compter sur personne. À cet instant, elle n'était cependant pas certaine d'être assez forte pour regagner le camp. Le soleil était trop fort et ses jambes trop faibles. Elle examina la plaie sur son bras. Elle s'était remise à saigner, encore plus qu'auparavant.
Alice parcourut du regard le paysage tourmenté des monts Sabarthès figés dans leur paix intemporelle. Un bref instant, cette vision la réconforta. Puis, tout à coup, à la sensation de bien-être se substitua une nouvelle sensation se traduisant par un picotement le long de la moelle épinière. Une prémonition, une attente. Une reconnaissance.
Tout s'achève ici.
Alice retint son souffle. Son cœur s'accéléra.
Tout s'achève là où tout a commencé.
Sa tête s'emplit soudain de murmures, de bruits dissonants, à la manière d'échos qui auraient traversé le temps. Les mots gravés dans la pierre, en haut des marches, lui revenaient en mémoire. Pas a pas. Ils tournoyaient dans sa tête comme un refrain revenu de sa prime enfance.
C'est impossible. Tu perds la tête, se dit-elle.
Ébranlée, Alice posa ses mains sur ses genoux et s'astreignit à se mettre debout. Elle devait regagner le camp. Migraine, déshydratation, elle avait besoin d'ombre, d'un peu d'eau à l'intérieur du corps.
Lentement, elle entama sa descente. Chaque bosse, chaque caillou lui rentrait dans le corps. Elle devait quitter ces lieux, s'éloigner des esprits qui le hantaient. Elle n'aurait su expliquer cette impulsion soudaine, sinon qu'elle devait fuir cet endroit.
Elle accéléra le pas, finissant presque par courir, indifférente aux pierres et aux rochers de silex qui la faisaient trébucher. Mais les mots persistaient dans son esprit, tournant sans cesse haut et clair, comme un mantra.
Pas à pas se fait notre chemin. Pas à pas.
12
Il était presque trois heures. Le thermomètre frôlait les trente-deux degrés à l'ombre. Sagement assise sous l'auvent de toile, Alice sirotait l'Orangina qu'on lui avait mis dans les mains. Les bulles tièdes lui chatouillaient la gorge et le glucose lui fouettait les sangs. Une puissante odeur de gabardine, de tentes et de phosphates régnait.
Son entaille à l'intérieur du coude avait été désinfectée et le pansement changé. Un bandage entourait son poignet aussi enflé qu'une balle de tennis. Ses écorchures aux coudes et aux genoux avaient fait l'objet des mêmes attentions.
C'est ta faute.
Elle s'examina dans le miroir accroché au poteau de tente. Un petit visage en forme de cœur, aux yeux bruns et intelligents la regardait. Sous les taches de rousseur, en dépit de son hâle, ses joues étaient pâles. Un vrai désastre. Ses cheveux ternes et poussiéreux laissaient apparaître quelques gouttes de sang séché à la limite du front.
Elle n'aspirait qu'à regagner son hôtel, à Foix, apporter ses vêtements crasseux chez le teinturier et prendre une longue douche froide. Après quoi elle descendrait sur la place, commanderait une bouteille de vin et ne bougerait plus le petit doigt jusqu'à la fin de la journée.
Et plus question de penser à ce qui lui était arrivé.
Il n'y avait guère de chance, quant à cela.
La police était là depuis une demi-heure. Dans le terrain de stationnement, des véhicules bleu et blanc aux couleurs officielles s'étaient ajoutés aux vieilles Citroën et autres Renault des archéologues. Une véritable invasion.
Alice avait présumé que l'on commencerait par s'adresser à elle. Or les policiers, se contentant de lui demander de confirmer qu'elle était l'auteur de la découverte et de la prévenir qu'ils l'interrogeraient en temps et lieu, l'avaient laissée tranquille jusque-là. Personne d'autre ne l'avait approchée. Alice compatissait : tout ce tumulte, ce désordre, ces bouleversements à cause d'elle. Il n'y avait pas grand-chose à en dire. Shelagh n'avait pas donné signe de vie.
La présence des policiers avait changé l'atmosphère du camp. On avait l'impression qu'il y en avait des
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