Lacrimae

donzelle de dix-neuf ans, que l’on m’a décrite comme fort bien tournée, de beau minois, d’assez haute taille, brune aux yeux bleus. Elle se nomme Héluise Fauvel, de Brévaux, qu’elle a quitté il y a plusieurs mois, sans que l’on sache où elle se rendait. Je doute qu’elle ait conservé ce nom.
    Héritier avait vite appris que l’on ne posait pas de questions à messire de Nogaret. On se faisait fort de répondre aux siennes. Aussi attendit-il la suite.
    — Cette jeune femme nous est précieuse. Dès que vous saurez où elle se terre, vous me ferez prévenir au plus preste, de sorte que l’affolement ne la gagne pas, l’encourageant à l’escampe.
    — Fort bien, messire. Mon honneur consiste à vous bien servir et à vous plaire en tout.

    Le terme « honneur » dans la bouche du scélérat distrait le conseiller qui n’en laissa rien paraître. Il considéra le fringant jeune homme et feignit l’indécision :
    — Héritier… non que je doute de votre intégrité, ni de votre absolue fidélité… Toutefois, il me faut vous prévenir que d’autres sont sur la trace de cette Héluise. L’évêque d’Alençon la recherche activement. L’Inquisition aussi. Il vous faudra être plus rapide qu’eux. Surtout, je vous exhorte à l’invisibilité. L’Inquisition me chagrine fort en la circonstance. Cette noble institution jouit de tant d’appuis, de puissants et même de petits ! Ils me sont donc bien plus préoccupants que l’évêque. (M. de Nogaret posa le menton sur ses mains jointes en prière et poursuivit d’une voix douce et aimable, son regard intense et désagréable fixé sur Héritier qui n’en menait pas large :) Ils sont également forts riches et inspirent la crainte. S’ils avaient vent de votre implication, tentaient de vous séduire ou de vous contraindre… rappelez-vous toujours, Héritier, qu’ils ne pourront vous protéger de mon courroux. J’ai la revanche tenace. Rappelez-vous également que si l’Inquisition promet beaucoup, elle ne tient jamais. Sa mission ne consiste pas à donner mais à obtenir. Des aveux, notamment. Néanmoins, je puis vous assurer que mon bourreau est encore plus expert que les leurs.
    — Messire, prétendit s’offusquer le petit voyou assez ébranlé, plutôt mourir que faillir envers vous ! Sur ma foi.
    — Fort bien. Je m’en réjouis.
    1 - Avril 1305. Elle forma un couple très uni avec Philippe le Bel auquel elle donna six enfants, dont trois rois et deux reines, agissant à l’instar d’une conseillère. Le roi refusa de se remarier après son décès.
    2 - Vers 1275-1315. Pendu à Montfaucon pour malversations et sorcellerie. Son ambition et son enrichissement colossal lui avaient valu la colère des princes qui se vengèrent dès la mort de Philippe le Bel.
    3 - Officier de la Couronne, il avait autorité sur tous les boulangers de France et, les jours de cérémonie, avait le privilège de servir les souverains à table, avec le grand échanson.

XVII
    Tiron, octobre 1306
    U ne grêle de coups assénés contre la porte de leur chambre tira Druon et Huguelin du sommeil. Donnant à son maître le temps d’enfiler un vêtement afin qu’on ne puisse distinguer la rondeur de ses seins sous son chainse, Huguelin fonça et entrouvrit le battant. Maîtresse Borgne, habillée de pied en cap, trépignait d’impatience, en cramponnant par la manche un garçon qui devait avoir douze ou treize ans.
    — Les contractions ont pris la Muguette et l’a perdu les eaux, débita-t-elle. Il est temps de s’mettre en route, mire, et d’tenir votre parole.
    — De quelle couleur étaient les eaux ?
    — D’la couleur du p’tit lait, répondit le garçon.
    — Bon signe ! Je me vêts, prépare ma bougette et nous vous suivons.
    La bougette en question était prête depuis belle heurette, mais Druon voulait se donner un peu de temps pour comprimer ses seins, une opération délicate puisqu’il fallait assez serrer la bande de lin afin qu’elle ne risque pas de choir, sans pour autant le suffoquer et lui scier les aisselles. De surcroît, il devait juguler l’appréhension qui lui desséchait la bouche. Il adressa une muette prière à son père, le suppliant de lui insuffler du courage et de l’aider.

    Située à un quart de lieue* de la sortie de Tiron, la ferme de Guillaume et Muguette Tue-Vache était flanquée de dépendances percées d’arches arrondies, typiques de la région, l’ensemble formant un U. Le