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Lacrimae

Titel: Lacrimae Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Andrea H. Japp
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que cela fût, lui occasionnait peine. Alors, cette horreur !
    Philippe réfléchit durant de longues minutes. Les souvenirs déferlèrent. Au fond, ces derniers ne le gênaient pas, même s’il leur prêtait de moins en moins d’intérêt depuis l’arrivée de son amour.
    Philippe Barbette s’était lassé de courir les grands chemins en compagnie de sa bande de truands, certain qu’une nuit l’un d’eux l’égorgerait pour récupérer le beau magot qu’ils avaient accumulé et qu’il avait juré de partager, quoique n’en ayant nulle intention. Il s’était donc volatilisé, emportant le butin. Recherché pour « moult crimes déhontés, inimaginables et impardonnables » dans plusieurs provinces, déjà condamné trois fois au déshonneur public et à la peine de mort, il était remonté vers le nord, jusqu’à Saint-Denis-d’Authou.
    L’aimable petit seigneur du lieu, Géraud, était vieillard. Se faisant passer pour soldat, Philippe avait prétendu allégeance et offert son épée pour défendre un Géraud, tremblotant et bientôt sénile, des convoitises de nobliaux voisins que ses terres alléchaient. Il n’avait guère eu à faire usage de la force contre eux, son faciès de brute et sa carrure suffisant à dissuader, d’autant qu’il avait bien vite recruté quelques hommes de main tout aussi peu engageants.
    Peu à peu, l’idée avait germé dans le crâne épais de Barbette. Géraud restait sans descendants de sang direct, les ayant tous enterrés. La seigneurie reviendrait donc à une branche cousine de Savoie, les Cluzet, que le vieillard connaissait seulement de généalogie. Philippe n’avait plus tergiversé. À force de courbettes, d’actes de tendresse filiale, il avait fini par convaincre le vieux de dicter au notaire un acte de reconnaissance en bâtardise. Géraud s’était exécuté d’assez bonne grâce, satisfait du mauvais tour qu’il jouerait par-delà la tombe à son cousin. Mieux valait, car Philippe était bien décidé à obtenir cet acte, quitte à contraindre le vieil homme en lui serrant le col. Certes, le sursis avait été de courte durée. En dépit d’une nature souffreteuse, Géraud d’Authou avait la vie chevillée au corps. Or la patience ne faisait pas partie des vertus, fort rares, de Philippe. Quelques mois plus tard, le seigneur avait chu malencontreusement dans l’escalier de pierre en colimaçon qui reliait la chambre du maître à la salle d’armes. Des doutes tenaces s’étaient formés dans l’esprit de certains domestiques. Pourtant, nul n’avait eu la fâcheuse imprudence de les émettre. Tous connaissaient, maintenant, la férocité de leur nouveau seigneur.
    Désireux d’installer au plus vite sa lignée, Philippe Barbette devenu seigneur d’Authou avait pris femme, une Marie d’assez jolie naissance, d’agréable silhouette, et de dot appétissante. Sa seule fonction à ses yeux était de produire des fils. Elle s’en était acquittée à la satisfaction de cet époux qui la terrorisait. Amâtre et Cyr étaient nés. Marie avait rendu l’âme en couches, quelques heures avant leur troisième fils, Philippe, comme son père. La femme, ombre craintive, avait été enterrée, au côté de son enfançon, dans l’indifférence presque générale, hormis le chagrin de sa vieille suivante.
    La confortable vie de seigneur de petite importance, mais de jolis biens, commençait d’excéder Philippe. Il avait envie d’espace, d’inconnu. Surtout, il avait envie d’aventures, peut-être même de guerre. Pourtant, il était exclu qu’il rejoigne une armée de France, au risque d’y croiser l’un de ses anciens compagnons de méfaits, l’un de ceux qu’il avait dépouillés et qui le pourrait désigner comme imposteur et fieffé gredin, voire l’occire à la première occasion. Quant à s’acoquiner avec une bande de vils mercenaires, son rang le lui interdisait maintenant.
    Le destin s’en était mêlé. C’était, du moins, ce que voulait croire Philippe. Un des lassants monologues de Géraud lui était revenu. Il écoutait pourtant peu le vieillard. La narration de ses lectures, de ses souvenirs, de ses regrets ou des bonheurs de sa vie ennuyait Philippe au point que son esprit s’évadait ailleurs, pendant qu’il feignait la plus grande attention en se contentant de hocher la tête d’un air pénétré. Il s’était souvenu de l’histoire de ce lointain cousin de Savoie, Henri de Cluzet, un petit baronnet qui tirait

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