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L'affaire de l'esclave Furcy

L'affaire de l'esclave Furcy

Titel: L'affaire de l'esclave Furcy Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Mohammed Aïssaoui
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n’était pas allé au-delàde la troisième page. Desbassayns se douta qu’il fallait tout
expliquer à nouveau. Il observa le faste du bureau et pensa
que, décidément, les ors endormaient les esprits. « Votre Excellence, dit-il d’une voix un peu plus assurée,
vous savez que je suis chargé tout spécialement de la surveillance de l’île Bourbon. Je viens m’acquitter d’un devoir
bien pénible en vous rendant compte de la conduite de deux
magistrats de la Cour royale. Ils ont à la fois compromis la
dignité de leur caractère et la tranquillité de la colonie. Dans
mes lettres, je vous signalais l’un d’eux, M. Gilbert Boucher,
procureur général, comme un homme violent et audacieux.
Mais j’étais loin de penser que les écarts de ce magistrat
deviendraient de véritables délits. » Le comte Molé marqua de l’étonnement en écarquillant les
yeux, et Desbassayns pensa qu’il venait de marquer un point
par cette attaque. Il fit un bref résumé de la situation en citant
Furcy, Sully-Brunet, Constance et Madeleine. En revanche, il
prit un peu plus de temps pour expliquer les conséquences de
l’affaire. « Votre Excellence, c’est la première fois qu’un esclave
tente de briser ses chaînes par la loi. C’est la première fois,
peut-être, depuis qu’il existe une colonie qu’on a vu un esclave
assigner son maître en justice. C’est un acte de rébellion inouï.
S’il obtient gain de cause, 16 000 autres esclaves, qui se
trouvent dans la même situation, réclameront leur liberté. Il
veut notre faillite. » Pendant qu’il parlait, Desbassayns tentait d’observer la réaction du ministre et de cet homme dont il ignorait la fonction.
Visiblement, il captivait son auditoire. Il n’était pas peu fier de
retourner une tendance qui lui avait paru si défavorable au
départ. Puis, il assena : « C’est la destruction de notre système colonial que veulentcet esclave et ces deux magistrats. L’heure est grave ! Vous
rendez-vous compte, l’esclave se réserve le droit de réclamer
des indemnités sous prétexte qu’il a été privé de sa liberté ? Sa
mère, Madeleine, avait déjà tenté de le faire. » Le ministre prit au sérieux les paroles de Desbassayns, il
n’était plus question de plaisanter. Il regarda son conseiller,
puis interrogea le colon : « Et sur quels arguments s’appuient ces magistrats pour protéger ce... Fe... Forçat ? — Furcy, Votre Excellence, Furcy. Le procureur général Gilbert Boucher prétend qu’il suffit qu’un esclave touche le sol de
la liberté pour qu’aussitôt il devienne libre. C’est une aberration. Cet homme développe des principes entièrement subversifs. Il avance que les Indiens sont un peuple libre et indépendant. Ce qu’il affirme, Votre Excellence, n’est pas autre chose
qu’une paraphrase de la Déclaration des droits de l’homme. » Molé était touché. Desbassayns avait réussi à lui transmettre
son inquiétude. Son directeur de cabinet, également intéressé,
s’autorisa à prendre la parole : « Monsieur le baron de Richemont, pensez-vous que cette
affaire ait déjà rencontré quelque écho à Bourbon et qu’elle
puisse nuire à votre administration ? » Le colon se sentit regonflé en entendant prononcer son nom
et son titre, c’était la première fois depuis le début de l’entretien. Il jugea aussi que cet homme de l’ombre était intelligent.
En voilà un qui avait travaillé et qui s’était renseigné sur lui. « Cher monsieur..., répondit Desbassayns — Malherbe, Charles Malherbe. Je suis en charge des
affaires coloniales auprès du ministre. J’ai lu vos deux missives. Très instructif, vraiment. — Merci, monsieur Malherbe. Vous posez, en effet, les
bonnes questions. J’ai invité le procureur général Gilbert Boucher à étouffer cette affaire, mais j’ai trouvé une résistance
invincible chez ce magistrat, qui prétendait que les droits de
Furcy lui paraissaient incontournables. Je le soupçonne de
vouloir donner de l’éclat à cette affaire. » Desbassayns ajouta qu’il commençait à avoir des craintes.
Car dans un aussi petit pays que Bourbon, où tout le monde
se connaît et possède des intérêts en commun, l’attitude de
Gilbert Boucher rencontrait un certain écho, les colons partageaient ses inquiétudes. « Pourquoi ce procureur agit-il ainsi ? s’étonna le ministre. — Mais parce qu’il vient de France, ni sa place ni sa fortune ne l’attachent à

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