L'affaire de l'esclave Furcy
en même temps il ne pouvait s’opposer frontalement à Desbassayns. Finalement, ils convinrent de régler l’affaire Furcy. Et de
traiter plus tard le cas Sully-Brunet.
14
Comme guidés par une main invisible, Boucher et Desbassayns se retrouvèrent face à face dans le couloir qui menait à
la sortie, près d’une fenêtre. Tous les autres, déjà à l’extérieur,
distinguaient la silhouette des deux hommes. Boucher regarda Desbassayns. On aurait cru à un duel, les
deux hommes avaient presque la même taille et la même corpulence. Boucher faisait plus vieux que son âge, trente-cinq
ans. Quant à Desbassayns, malgré ses quarante-trois ans et ses
cheveux gris, il gardait un visage poupin et doux, presque
enfantin, et ses yeux bleus pétillants, sa fossette au menton lui
donnaient l’air de toujours sourire malicieusement. Une bonhomie assez trompeuse. Il attaqua le premier. « Ce que vous faites est ignoble. Je sais que vous êtes le
véritable auteur de cette rébellion. Je sais que vous avez
fabriqué ces écrits séditieux. Je sais qu’un esclave habitué
toute sa vie à la soumission ne se livre pas lui-même à de tels
actes de violence. On ne rompt pas tout à coup ses chaînes. » Boucher encaissa la brutalité de l’attaque, il ne s’y attendait
pas, en tout cas pas de cette manière. Il ne sut pas comment
répliquer : fallait-il esquiver, ou bien assumer le soutien àFurcy au risque de mettre en péril la défense de l’esclave. Il
répondit : « Monsieur, la seule question qui vaille est celle-ci : Furcy
est-il libre ? Pour moi, la réponse ne fait aucun doute : il est
injustement retenu. » Desbassayns s’approcha précipitamment de Boucher, ce
dernier ne broncha pas, montrant qu’il ne craignait pas l’ordonnateur. « Ce n’est pas la liberté de Furcy que vous visez, mais celle
de tous les esclaves. Ce n’est pas la liberté qui vous intéresse,
mais la célébrité, la popularité. — Vous vous trompez, dit Boucher, je ne cherche que la
justice. Faites affranchir cet esclave, et vous n’entendrez plus
jamais parler de moi. » Desbassayns fit comme s’il ne comprenait pas. « Je ne peux m’empêcher de vous soupçonner. Seul un
étranger à notre système colonial peut se comporter ainsi, seul
un Français nouvellement arrivé dans notre île peut se battre
pour la liberté d’un esclave... Vous êtes imbu des principes
démagogiques de la Révolution. » Il insista sur cette dernière phrase, qu’il prononça lentement
et avec un certain dégoût, comme si ces paroles pouvaient lui
salir les lèvres. Le procureur ne répondit rien, il esquissa simplement un
mouvement qui signifiait qu’il allait partir, qu’il n’avait plus
envie d’entendre Desbassayns. Celui-ci tenta de le rattraper
par le bras. Boucher le regarda, et le colon retira sa main. Mais
il voulait avoir le dernier mot : « Monsieur, dit-il d’un ton méprisant, vous ne faites que
vous inspirer de Saint-Domingue, et Bourbon n’est pas Saint-Domingue, les esclaves sont heureux, ici. » Boucher sourit, tant de la nervosité de son adversaire que deses paroles. Il lui répondit qu’il ne voyait pas que des défauts à
la Révolution. Et il ajouta : « Les noms de Lory et de Desbassayns retentissent un peu
trop fréquemment dans l’enceinte des palais de justice. Vous
vous souvenez de cette malheureuse noire que l’on a retrouvée
morte dans sa case, avec des traces de coups ? C’était chez
Lory, n’est-ce pas ? Affaire classée ! » Cette réponse eut le don d’agacer Desbassayns qui lança
comme une menace : « Je ne vous laisserai pas faire, je ne vous raterai pas. » Puis il prit congé brutalement.
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— Chez Élie
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