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L'affaire de l'esclave Furcy

L'affaire de l'esclave Furcy

Titel: L'affaire de l'esclave Furcy Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Mohammed Aïssaoui
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manière que leur frère d’infortune n’ait
aucun doute sur leur message : ils le soutenaient. Certains
chantaient. Il y avait des blancs, aussi, qui passaient par là. J’imagine que dans ces moments-là, Furcy éprouvait
quelque réconfort. Célérine y passait trois ou quatre fois dans
la journée — l’avantage d’habiter près de la geôle. L’emprisonnement dura une année — jusqu’en
décembre 1818 —, et cette manifestation pacifique est allée
s’accroissant. Plus tard, on apprit que Furcy avait été hospitalisé suite à un grave malaise qui l’avait laissé sans connaissance, on l’avait cru mort et le médecin de la prison avait mis
tout en œuvre pour le sauver. Desbassayns ne savait comment gérer cette situation, il
commençait à paniquer. Ses craintes atteignirent leur
paroxysme quand on lui rapporta un fait particulièrement irritant : on entendait, ici ou là, jusque dans les coins reculés de
l’île que des esclaves parlaient de Furcy. Son combat leur donnait espoir de recouvrer eux aussi la liberté. Agacé, Desbassayns convoqua Lory chez lui, à l’heure du café. Pour le riche
colon, il n’y avait plus d’alternative, il fallait déporter Furcy
hors de Bourbon. Lory acquiesça. Cela tombait bien, il possédait une habitation à l’île de France que gérait sa famille.

12
    Il fallait étouffer l’affaire Furcy, et à tout prix. Elle prenait
une tournure telle qu’il devenait dangereux de voir l’esclave
accéder au tribunal. Desbassayns de Richemont avait d’abord
envoyé deux lettres pour alerter le ministre de la Marine et des
Colonies, le comte Mathieu de Molé qui venait d’être nommé
depuis quelques semaines. Il ne reçut aucune réponse. Il envisageait de se rendre à Paris, mais les trois mois de
voyage lui auraient fait perdre un temps précieux. Il profita
d’un passage du ministre à l’île de France pour le rencontrer. Il
avait alors intrigué avec les autorités anglaises et l’entourage
du ministre pour avoir un rendez-vous. Lui, l’homme le plus
puissant de Bourbon, il ne pouvait comprendre qu’il dût
s’abaisser à solliciter une rencontre, mais il en allait de l’avenir
de l’île. En France, personne n’avait l’air d’y attacher de l’importance. Ce Molé savait-il au moins que Desbassayns et
Bonaparte étaient amis, qu’ils avaient été dans la même école,
à Paris ? Grâce à cette amitié, Philippe Desbassayns était le
seul de la famille à avoir droit au titre de noblesse, on devait
l’appeler baron de Richemont ; le nom de famille originel était
Panon mais, fortune faisant, ils y avaient ajouté Desbassayns,puis de Richemont. L’audience était fixée à 11 heures, le
12 octobre 1817, à Port-Louis. Cela faisait plus d’une heure qu’il attendait dans l’antichambre afin d’être reçu par le ministre. Il avait peur. Molé
comprendrait-il que l’on fasse cas d’un misérable esclave ? Se
souviendrait-il même du nom de Furcy ? Pas sûr. Tous les
jours, le ministre ne recevait que des doléances. On ne l’appelait jamais pour donner de bonnes nouvelles ni le féliciter
d’une action car une fois que les hommes ont obtenu ce qu’ils
désirent, ils s’empressent d’oublier celui qui les a aidés. Aussi,
ce jour-là, il n’était guère d’humeur à écouter des complaintes. Quand l’huissier fit signe à Desbassayns de le suivre, le
colon éprouva une sensation désagréable, comme un pincement au cœur ; il se leva soudainement, déjà essoufflé alors
qu’il n’avait pas esquissé le moindre pas. Dans le bureau de Molé, se trouvait un deuxième homme
— son chef de cabinet ? — que le ministre ne prit pas la peine
de présenter à Desbassayns. L’invité en fut vexé. « Je remercie Votre Excellence de m’accorder du temps,
affirma le colon avec un excès de déférence. — Je vous en prie. Alors dites-moi ce qui me vaut l’honneur de votre visite. » À ces mots, Desbassayns comprit que le ministre, qui lui
semblait bien trop jeune pour une fonction aussi influente — il
avait à peine quarante ans —, n’avait pas lu les deux lettres,
pourtant alarmantes, qu’il avait expédiées voilà des semaines.
Alors, il commença par les lui rappeler. « Ah, oui... Je m’en souviens... », fit le ministre un peu
évasif. En fait, il se rappelait surtout de la longueur de la
deuxième lettre qui frôlait les cinquante pages ; ils en avaient ri
avec son directeur de cabinet et Molé

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