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L'affaire de l'esclave Furcy

L'affaire de l'esclave Furcy

Titel: L'affaire de l'esclave Furcy Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Mohammed Aïssaoui
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dans l’œuf la moindre volonté de rébellion. C’était en
agissant ainsi que le système perdurait. Avec la notification de
Furcy, Desbassayns avait senti le danger, et la machine esclavagiste s’était alors mise en marche. Puisqu’il réclamait sa
liberté, il fallait déclarer Furcy comme un fugitif, un marron,
un rebelle ; l’attaquer en tant que tel, le faire arrêter, et l’enchaîner. Hors de question qu’il mît les pieds dans un tribunal :
un esclave n’avait pas à assigner son maître en justice. À la demande de Desbassayns, le négociant Lory se rendit
chez le procureur général. Qu’exigea-t-il ? Que l’on mît Furcy
en prison, et tout de suite. Pour quelle raison ? Parce qu’il avait
des désirs de fuir... Il était midi et demi, c’était le premier dimanche du mois
d’octobre de l’année 1817 ; le soleil tapait fort, il valait mieux
se réfugier à l’intérieur pour trouver un peu de fraîcheur. Furcy était chez Célérine, rue des Prêtres, à Saint-Denis. Il
y avait aussi Constance et ses enfants qui étaient venus la veille
de Saint-André. C’étaient des moments rares, ils étaient heureux. Ils allaient bientôt manger. Célérine et Constance riaientde voir l’un des enfants tenter une shéga acrobatique et se
casser la figure. On cogna brutalement à la porte. Constance ressentit de
l’angoisse. Toute sa vie, même lorsqu’elle était petite, elle
avait toujours su quand les choses allaient mal tourner, un instinct dont les gens qui n’ont pas bien démarré dans la vie sont
souvent dotés. Célérine et les enfants continuaient de s’amuser,
Furcy, assis, les observait avec un sourire bienveillant. Constance ouvrit. Il y avait cinq ou six gardes de police :
elle était tellement troublée qu’elle était incapable de les
compter. Le juge de paix lui annonça que le fugitif Furcy devait
être arrêté. Elle n’eut pas le temps de commencer une phrase
que les policiers se précipitèrent sur Furcy. Ils lui mirent des
chaînes aux mains et, pendant que l’un d’entre eux tenait
Furcy, deux gardes de chaque côté lui enjoignirent de suivre le
juge de paix. Furcy réclama son chapeau et son gilet, les policiers n’entendirent rien. Alors, Constance se dirigea vers le
juge de paix et le supplia de laisser Furcy prendre ses affaires.
L’homme de loi ne comprit pas l’intérêt de cette demande,
mais finit par accepter. Ils allèrent à pied, la prison se trouvait
rue La Bourdonnais, à quelques centaines de mètres de la rue
des Prêtres. La scène dura cinq minutes à peine. Les gardes n’avaient
pas pris de gants mais la violence ne fut pas tant dans les gestes
et la brutalité, non, la violence se nichait dans cette façon d’effrayer un homme et sa famille, de ne rien lui expliquer, de faire
beaucoup de bruit pour attirer les regards et semer la honte —
ou la haine. Il partit enchaîné. Il ne baissa pas les yeux. De nombreux noirs virent la scène. Beaucoup s’approchèrent, menaçant les gardes du regard ou avec un bâton. Lespoliciers, armés, se tenaient prêts à tirer. Furcy leva les mains,
comme pour dire aux noirs de ne pas intervenir. Lors de cette arrestation mouvementée, Furcy n’opposa
aucune résistance. Il se laissa « tranquillement » conduire en
prison. Il y resta pendant une année... Affranchir Furcy n’aurait pas coûté grand-chose à Lory.
Maintenant que je le connais un peu, je suis sûr que Furcy
serait resté chez son ancien exploitant, comme sa mère l’avait
fait avant lui ; s’il avait été déclaré libre, il n’y aurait jamais eu
ni affaire ni bruits. Mais les colons de Bourbon étaient impitoyables. Vingt-trois esclaves seulement avaient été affranchis
en quatre ans. Quand l’île appartenait aux Anglais, entre 1810
et 1815, cinq mille esclaves avaient recouvré la liberté dès leur
première année d’administration.

11
    Enfermé ! Après une vie d’esclave, une existence de prisonnier. Que pouvait bien penser Furcy maintenant qu’il se retrouvait dans la geôle de Saint-Denis ? Il me semble qu’il n’a
jamais douté. Même enfermé, il faisait encore peur au plus
puissant des hommes de l’île. Desbassayns de Richemont était
furieux, il savait que chaque jour, chaque heure, des noirs
— beaucoup de noirs libres, parce que libres de leurs mouvements — rendaient visite à l’esclave prisonnier. D’autres,
toujours aussi nombreux, passaient à côté de la prison et faisaient du vacarme de

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