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L'affaire de l'esclave Furcy

L'affaire de l'esclave Furcy

Titel: L'affaire de l'esclave Furcy Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Mohammed Aïssaoui
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âgée, avait fait
escale à l’île Bourbon. Elle s’était sentie trop fatiguée pour
continuer le voyage jusqu’en Inde. Elle avait donc confié
Madeleine à Mme Routier et la lui avait « donnée » à condition qu’elle lui accorde l’affranchissement et qu’elle l’aide à
retourner à Chandernagor. Bourbon ne devait constituer qu’une
escale ; mais Madeleine, comme toutes les personnes qui ont
été arrachées à leur terre de naissance, avait horreur des lieux
de transit : elle savait que l’on pouvait y rester toute une vie.
Elle avait vu juste, car cette Mme Routier n’avait jamais eu
l’intention de respecter sa parole, trop heureuse d’acquérir une
main-d’œuvre gratuite au moment même où son mari disparaissait. Mme Routier avait attendu plus de vingt ans avant d’affranchir Madeleine, le 6 juillet 1789. Cette date n’est pas liée au
hasard. La veuve avait entendu les bruits qui venaient de
France. Elle avait eu peur de payer de lourdes indemnités,
d’autant qu’elle avait signé une promesse d’affranchissement. Malgré sa nouvelle condition, Madeleine était restée sous
les ordres de Mme Routier... Entre sa vie d’esclave et celle de
femme libre, rien n’avait changé. C’était comme ça. Et, du
reste, qui dans l’habitation pouvait bien savoir que Madeleine
était affranchie ? Personne. Sans doute pas même elle.
Mme Routier n’avait pas cru utile de l’en informer — elle
avait caché l’acte d’affranchissement.

5
    Lorsqu’elle avait débarqué à Bourbon, Madeleine avait de la
douceur et de la beauté. À quinze ans, elle était plus grande
que beaucoup d’hommes de l’habitation ; avec l’âge et la
fatigue, elle avait eu tendance à se courber. On remarquait ses
cheveux bouclés, presque frisés, qui lui tombaient sur les
épaules, une taille fine, des courbes avantageuses et, surtout,
ce visage harmonieux avec ces yeux noirs en amande. Elle
souriait à la moindre occasion. Elle était dotée d’un caractère
heureux. Il lui arrivait souvent de rêver du Gange, sans trop
savoir pourquoi ; elle n’avait pas oublié le goût particulier de
son eau, un goût qu’elle n’avait jamais retrouvé ailleurs. Et
quand elle y pensait, des larmes lui venaient sans qu’elle réussisse à les retenir. Elle se souvenait aussi de certains arbres
de son village — ils étaient hauts —, d’un ruisseau clair
dans lequel il lui arrivait de se rafraîchir et d’une maison sans
toit, mais elle avait oublié le prénom de ceux qui avaient
accompagné son enfance, sauf Abha, sa meilleure amie —
qu’était-elle devenue d’ailleurs ? Elle se rappelait le prénom de
sa mère, Mounia, et celui de son père, Mehdiri. Elle ne se souvenait plus de son nom de famille, on ne le lui avait jamais dit. La beauté de Madeleine ne laissait évidemment pas indifférents les propriétaires d’habitation. Un jour, alors qu’elle
n’avait pas encore seize ans, elle ne reconnut plus son corps.
Ce sang sans blessure avait cessé. Elle donna naissance à
Maurin, qui mourut jeune en 1810. Constance est née en 1776,
sa mère avait dix-sept ans. Furcy est né dix ans après sa grande
sœur. J’ignore s’ils étaient du même père. Née d’une mère esclave, Constance aurait dû vivre en
esclave. Mais un homme, blanc, du nom de M. Wetter, dont
elle partageait visiblement quelques traits — des yeux verts
qui contrastaient sur cette peau de miel — l’avait rachetée à
Mme Routier. Celle-ci avait accepté bien vite l’aubaine de se
débarrasser d’une bouche à nourrir — ce n’était qu’une fille,
elle rapportait peu. Et puis il était d’usage qu’un père rachète
l’enfant qu’il avait conçu avec une esclave. On disait, non sans
fondement, que les colons de Bourbon avaient plus d’enfants
avec des esclaves qu’avec leurs épouses. C’est pourquoi les
« sang-mêlé » se multipliaient à vue d’œil, sous le soleil généreux de l’île. La ressemblance entre Furcy et sa mère était frappante : un
petit mulâtre, le visage comme dessiné par un peintre, et ces
yeux en amande, noirs aussi... Mme Routier était contente : un
garçon, c’était toujours bon pour l’habitation. Elle saluait la
promesse d’une main-d’œuvre future, et connaissant la solidité de Madeleine, elle pouvait se frotter les mains. Si Constance avait pu être affranchie, Furcy, lui, n’avait pas
eu cette chance — dans une famille, il pouvait donc y avoir un
enfant

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