L'affaire de l'esclave Furcy
soumis à l’esclavage et un autre qui vivait libre. À la mort de Mme Routier, en 1808, Furcy avait été
« légué », avec sa mère, à Joseph Lory, le neveu et gendre de
la défunte. La mort n’épargne personne, pas même l’indestructible Mme Routier. Elle avait tout prévu, même son décès.
Et, comme elle avait tout dirigé sa vie durant, elle avait tenu à
régenter la suite, jusqu’au montant des frais de succession.
Son testament témoignait d’une mainmise parfaite sur les
choses et l’existence. Elle avait cédé tous ses biens à Joseph
Lory, avec cette recommandation écrite d’une plume fine et
serrée. Après la disparition tragique de son époux, elle avait
pris soin d’authentifier le document auprès du notaire de Saint-Denis, maître d’Eymerault. Je, Marie Thérèse Jeanne Lory, veuve de Monsieur
Paul Henri Routier, propriétaire demeurant à Saint-Denis, soussignée,
Voulant user de la faculté que m’accorde l’article 1075 du code civil par le présent testament, et
ainsi qu’il suit, lègue les biens que je possède à mon
neveu Joseph Lory.
MASSE DE BIENS
— Une propriété à Saint-Denis, cette propriété se
compose d’une maison de pierre sur un terrain de
1 500 mètres carrés avec un pavillon en bois, un
magasin, une cuisine, une geôle pour les esclaves
récalcitrants, une infirmerie, une fermette, une écurie
pour les chevaux, un poulailler, et vingt cabanes pour
les noirs.
— une sucrerie
— Une giroflerie
— Une caféterie
— De la vaisselle en argenterie estimée à
500 francs
—Une armoire
— Six mulets estimés à 2 500 francs
— Quatre bœufs estimés à 6 000 francs
— 17 esclaves estimés dans l’ensemble à
41 000 francs, ayant pour nom, pour âge, fonction et
origine :
— Un lot composé de Rémi (42 ans, cafre, domestique), sa compagne Minutie (27 ans, cafre, cuisinière)
et leurs trois enfants (3 ans, 2 ans et 6 mois), estimé à
7 000 francs
— Un lot composé de Jupiter (Malabar, 55 ans,
sans profession), sa compagne Maman (38 ans,
Malabar, femme à tout faire) et leurs quatre enfants
(Justin, 18 ans, noir de pioche, Sérafin, 16 ans, noir de
pioche, Madi et Mado, jumelles de 10 ans, à la giroflerie), lot estimé à 22 000 francs, les enfants sont en
location pour une année.
— Justin (Malabar, 29 ans, né à Bourbon, commandeur dans la plantation de Sieur Desbassayns),
loué 100 francs par mois.
— Samuel (cafre, 24 ans, noir de pioche), noir
récalcitrant, en fuite. Non estimé, pour inventaire.
— Madeleine (Malabar, 59 ans, femme à tout
faire), sans valeur, et son fils Furcy (Malabar, mulâtre,
30 ans, né à Bourbon, maître d’hôtel, jardinier et
maçon) estimé à 7 000 francs.
— Jamine (cafre, 16 ans, femme à tout faire),
estimée à 1 000 francs (la malheureuse a perdu son
esprit).
— Mina, jeune négresse créole, laveuse, repasseuse, couturière, avec un enfant de deux ans et un
autre à naître. Ensemble estimé à 4 000 francs. Routier avait ajouté un mot destiné à Lory : Mon cher neveu et gendre, je te confie ma fortune que j’ai
fait fructifier avec la seule force de mes mains. C’est à toi que
je la laisse, et à toi seul, car tu as mon caractère et ma volonté.
Je te conseille vivement de ne pas céder aux sirènes de l’affranchissement, tu sais à quel point un esclave est un bien rare
et difficile à rentabiliser. Dans le lot, seule Madeleine a été
affranchie il y a bien longtemps, mais elle m’est restée fidèle.
J’avais fait une promesse à Dieu et à Mademoiselle Dispense
de la libérer, je te demande de tenir mon engagement pour que
je n’aie rien à me reprocher le jour dernier. Enfin, mon cher
neveu, prends garde aux filous, les droits de succession ne
devraient pas dépasser les 4 000 francs. Je suis bien peinée à l’idée de ne plus te revoir mais il me
faut prendre ces dispositions, je t’embrasse. Garde-moi dans
ton cœur. Après l’enterrement de Mme Routier, Joseph Lory avait
décidé d’attendre un peu avant de tenir les engagements de sa
tante : les temps étaient durs, Madeleine pouvait encore servir.
Voici comme on les traite. Au point du
jour, trois coups de fouet sont le signal qui
les appelle à l’ouvrage. Chacun se rend
avec sa pioche dans les plantations, où ils
travaillent, presque nus, à l’ardeur du
soleil. On leur donne pour nourriture du
maïs broyé, cuit à l’eau, ou des pains de
manioc ; pour habit, un morceau de toile.
À la moindre négligence,
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