L'affaire Nicolas le Floch

tenues de débutants, aux visages juvéniles rouges de froid et d'émotion. Un page de la petite écurie le tira par la manche, pour lui indiquer d'avoir à se trouver dès à présent à la portière du carrosse du roi, lequel achevait d'entendre sa messe quotidienne. Il sentit les regards intrigués peser sur lui et un bruissement de paroles qui commentait cet ordre, transmis suffisamment fort pour que chacun l'entendît. Il salua les officiers des gardes du corps qui constitueraient l'escorte et attendit.
    Un bruit de gravier l'avertit de l'arrivée du souverain. Celui-ci, en tenue de chasse, portait un manteau du même ton au col bordé de fourrure. Il s'appuyait sur un grand garçon dégingandé qui le dominait d'une bonne tête, et en qui Nicolas reconnut le dauphin. M. de La Borde lui fit un signe amical. Le roi sourit, monta et s'assit lourdement. Le dauphin allait le suivre quand il lui intima de laisser la place à Nicolas.
    — Berry, prenez votre voiture, j'ai à parler au petit Ranreuil.
    L'interpellé rougit et salua Nicolas avant de rejoindre son carrosse en se dandinant. Nicolas prit place en face du roi. Le convoi s'organisa pour sortir vers le grand parc. Le roi demeurait silencieux, le menton dans la main et regardait défiler le paysage. Les yeux mi-clos, Nicolas le considérait. Il vieillissait de plus en plus, les grands arcs des sourcils blanchissaient, le nez se resserrait et des bajoues de plus en plus visibles détruisaient l'équilibre d'un ensemble demeuré longtemps harmonieux. Les yeux noirs emplis d'une infinie mélancolie avaient perdu leur éclat et des poches bleuâtres semblaient élargir les orbites.
    — Froid et vif, dit enfin le roi. Le passage des sauvagines sera net. Tiriez-vous ce gibier avec le marquis, à Ranreuil ?
    — Oui, sire. Dans les marais, en Brière.
    — Ranreuil usait de quels chiens ?
    — De chiens couchants, sire. Des barbets rustiques, propres à la nage et résistants au froid.
    — Bon choix. On me dit que les passages de sauvagines sont nombreux sur la Somme. L'avez-vous observé sur le chemin de Londres ?
    — J'essayais de ne pas être le gibier, sire.
    Le roi rit.
    — Allez, contez-moi cela pour me distraire.
    Nicolas orna son récit de détails incongrus ou baroques. Il décrivit comme un épisode de conte de fées l'apparition de la comtesse du Barry à Chantilly. Le roi s'esclaffa. Tout fut exprimé avec légèreté et sans excès. Il sut user de tout son art de conteur sans être pesant. Il n'hésita pas à se moquer de lui-même et, connaissant l'irritation du roi contre une anglomanie montante, il décrivit l'Angleterre et les Anglais avec un peu d'injustice et ne manifesta nulle admiration en évoquant Londres et ses bâtiments. Il mesura, ce faisant, quelle carrière de courtisan aurait pu s'offrir à lui dans un destin différent. Il n'hésita pas à se caricaturer, conduisant son récit par petites scènes si vivantes et pleines de sel qu'il dérida le roi jusqu'à des éclats de rires qui le rajeunissaient. Le cortège approchait des étangs de Satory. Enfin, la caravane s'immobilisa au centre d'une clairière de bruyère entourée de bouleaux et de peupliers, à proximité de pièces d'eau à demi gelées. Le roi abaissa sa glace et appela l'un des officiers.
    — Je n'en ai pas fini avec le petit Ranreuil. Prévenez M. le dauphin de commencer sans moi.
    Il fixa à nouveau Nicolas.
    — Je m'en veux, monsieur, de vous avoir jeté dans autant d'ornières si fâcheuses qu'elles auraient pu m'ôter le dévouement d'un bon serviteur.
    — Votre Majesté sait qu'il s'agissait de me sauver d'un autre péril.
    — Est-il écarté, désormais ?
    — On ne saurait l'affirmer. Mais Votre Majesté doit savoir que tout est si bien fomenté pour m'en faire porter la faute que cet excès d'ignominie ne peut que confirmer mon innocence.
    Le roi réfléchissait. Il murmura, sans que Nicolas puisse être certain qu'il s'agissait d'une question.
    — De bien troublantes coïncidences, en effet, que cette convergence de malignités contre vous. Y aurait-il un lien entre votre affaire et la mission que je vous avais confiée ?
    Nicolas hocha la tête, estimant que la question apportait d'elle-même la réponse. Des coups de feu commençaient à éclater de toutes parts.
    — Les sauvagines sont au rendez-vous, dit le roi de sa voix rauque. Il faudra que je remercie Mesnard de la justesse de ses prévisions. Il n'a plus d'âge. Le duc de