L'affaire Nicolas le Floch

arts de l'ameublement, du textile et, surtout, de l'impression et de la reliure.

    Rue Scipion, la petite maison de M. Rodollet, à la façade couverte de lierre, jouxtait un atelier d'imprimeur. Au-dessus de la porte-fenêtre, une mention discrète, élégamment ornée, indiquait l'activité de l'occupant. Il fut reçu dans une sorte d'atelier-bureau dans lequel pendaient, attachés par des pinces à des fils qui traversaient l'espace, des parchemins enluminés ou des modèles de calligraphie. Des casiers contenaient d'innombrables qualités de papiers, des plumes en quantité. Des réserves d'encre en bouteille et des carrés vernissés à dissoudre s'accumulaient dans les moindres recoins. Un gros homme entre deux âges, coiffé d'un bonnet gris qui retenait mal des mèches jaunies, le regardait avec circonspection en se frottant lentement les mains. Nicolas lui donnait une cinquantaine d'années. Il portait une sorte de chasuble qui rentrait en bouffant dans une culotte noire, les pieds à l'aise dans des mules de cuir. L'homme surprit son regard.
    — Je me chausse ainsi, dit-il, afin de pouvoir, par ces temps si froids, poser les pieds sur ma chaufferette. Que puis-je faire pour votre service, monsieur ?
    — Un travail très particulier et qui demande discrétion. Je suis commissaire de police au Châtelet et enquête sur une affaire de faux. M. de Séqueville m'a orienté vers vous, m'assurant que vous étiez l'homme le plus habile sur la place pour lever les doutes sérieux qui pèsent sur un testament.
    L'homme ne pipait mot, mais ses yeux s'étaient étrécis et il observait Nicolas.
    — Notre ami commun, reprit le commissaire, m'a remis ceci à votre attention.
    Il tendit le petit carré de papier. Un coup d'œil suffit à Rodollet, ce qui confirma l'impression de Nicolas sur la nature de la recommandation. Le sésame fut aussitôt porté à la flamme d'une bougie et brûlé, comme s'il s'était agi de n'en laisser subsister aucune parcelle. Le petit cachet grésilla, répandit une fumée noire ; une odeur de résine emplit l'officine. Rodollet se tourna vers lui.
    — Ceci posé, monsieur le commissaire, quel est votre problème ?
    Nicolas sortit les lettres de Julie et le testament. Rodollet s'en saisit et s'abîma un long moment dans leur contemplation en s'aidant d'une lentille grossissante. À la fin, il disposa plusieurs bougeoirs en ligne, superposa le testament à une lettre, réitéra l'opération avec l'ensemble de la correspondance puis, réexamina les documents. Nicolas se rongeait les lèvres d'impatience et d'agacement, humilié de voir sa vie la plus intime traversée par un étranger. Il se calma en songeant que c'était là le prix à payer pour découvrir l'assassin de sa maîtresse.
    — Bouh ! Hon..., grogna Rodollet en enlevant son bonnet, ce qui fit apparaître une calvitie entourée d'un fin entrelacs de cheveux blancs. Certes, je peux me tromper, mais voici, monsieur le commissaire, mes conclusions. L'écriture, même la moins formée par nos écoles, est chose instructive. De tous les mouvements du corps, il n'en est point d'aussi varié et divers que ceux de la main et des doigts. Imaginez, monsieur, un tableau de maître copié à l'identique par cent peintres. Toutes ces redites ressembleraient à l'original, et pourtant elles n'en auraient pas moins, au regard de l'amateur éclairé, un caractère particulier, une teinte ou une touche qui les feraient distinguer.
    — Ainsi, pour vous...
    — Pour moi, chacun de nous possède une écriture propre, individuelle et inimitable, ou qui, du moins, ne saurait être contrefaite que très difficilement et imparfaitement. Les exemples sont trop rares pour détruire cette règle. Autre chose : l'écriture d'une même personne peut changer, car les dispositions d'esprit influent sur sa conformation. Avec la même plume, on façonne autrement s'il s'agit d'une lettre d'amour ou d'un acte grave comme un testament. En écriture comme ailleurs, il y a une physionomie des émotions.
    — Et dans le cas que je vous soumets ?
    Rodollet considérait Nicolas avec une sorte de commisération apitoyée.
    — Je crois devoir vous dire que je ne comprends pas comment des lettres brûlantes, je vous prie de m'excuser, des feux de la passion et d'une écriture relâchée où la pensée court plus vite que la plume peuvent ressembler autant à un texte engageant son auteur comme ce testament. Bref, je crois que le testament est un