L'affaire Nicolas le Floch

Penthièvre enfant le connaissait déjà ! Quelle science des oiseaux ! Presque aussi parfaite que Louis le treizième, le père de mon aïeul... Et sur le chevalier, donnez-moi votre sentiment.
    — Le chevalier d'Éon s'est montré parfaitement courtois avec votre envoyé. Et si j'osais, je dirais à Votre Majesté qu'elle ne peut compter serviteur plus affectionné et plus fidèle.
    Le roi ricana un peu.
    — Plus affectionné, je le sais bien ! Plus fidèle... Si la désobéissance à mes ordres est la marque de cette vertu, alors oui. Cependant, avec tous ses défauts, je le crois assez volontiers soucieux de mon service et serais charmé si, par le moyen de ses connaissances, il pouvait nous être encore utile. C'est d'ailleurs le cas dans l'affaire que vous avez si heureusement traitée, puisque vous avez réussi à convaincre ce Morande de se soumettre à nos conditions. Nous vous en sommes reconnaissant, Ranreuil.
    Nicolas eut le sentiment que ce nous de majesté faisait apparaître l'ombre charmante de la favorite.
    — Vous avez montré encore une fois que rien n'était trop délicat et aventureux pour votre talent. Sartine est heureux de vous avoir !
    — Sire, le chevalier d'Éon m'a demandé de vous entretenir de l'affaire du sieur Flint.
    Le roi ne répondit pas tout de suite. Nicolas mesurait à chacune de ses rencontres combien les ressorts de cet homme étaient compliqués. Souverain ne se fiant à personne ou à quelques-uns triés sur le volet, tourmenté de scrupules, traitant avec sang-froid cent affaires différentes sans jamais montrer humeur ni impatience et de la plus grande ouverture dès qu'il était en terrain de connivence. Pourquoi son peuple le méconnaissait-il à ce point, et pourquoi les apparences plaidaient-elles contre lui depuis tant d'années ?
    — Quel fond, à votre avis, peut-on faire sur cet Anglais ? demanda le roi.
    Nicolas répondit avec cette spontanéité qui devait toujours surprendre un homme habitué aux prudences courtisanes et aux cautèles de Cour.
    — Quelle confiance peut-on accorder à un homme qui trahit son roi et sa nation ? Je pense qu'il ne faut pas se mettre dans ses mains sans garantie et recouper ses informations, ou feindre de pouvoir le faire.
    — Voilà qui est sagesse, ma foi ! J'aviserai.
    Le roi baissa sa glace.
    — Que l'on donne mes fusils au petit Ranreuil. Appelez La Borde. Et vous, Ranreuil, allez chasser et parlez du sieur Flint au dauphin. Je veux qu'il vous aime. Un jour, il aura besoin de vous.
    Il tendit sa main à Nicolas qui s'inclina et la baisa avant de sortir à reculons de la voiture sous le regard rasséréné du roi. Un page l'accompagna à l'endroit où le dauphin tirait. Les passages s'étaient espacés et le prince parut à peine gêné de l'arrivée de Nicolas.
    — Le temps est beau, monsieur.
    Nicolas se tourmentait pour entrer en matière.
    — Sa Majesté souhaite que je vous rende rapport d'une affaire que j'ai traitée secrètement à Londres.
    Le jeune homme ne put réprimer un mouvement d'intérêt joyeux qui n'échappa point à Nicolas.
    Le dauphin tendit son fusil à un page et s'adossa à un bouleau. Ses yeux gris-bleu un peu brouillés fixaient Nicolas avec bienveillance. Celui-ci simplifia les préliminaires et insista, connaissant les goûts cartographiques du prince, sur les avantages pour notre marine de posséder des connaissances nouvelles sur une partie des côtes du grand empire chinois, tant du point de vue militaire que pour les mouillages de nos bâtiments de commerce. Le dauphin s'agenouilla, dessinant de mémoire avec une brindille les côtes de l'Asie sur le sol. Il s'animait et développait des arguments si fondés et si bien pensés qu'ils surprirent Nicolas. Il restait que la décision revenait au roi et il espéra qu'il y associerait son héritier.
    — Monsieur, dit le dauphin, je suis heureux de vous avoir revu sur un sujet si prépondérant pour les intérêts du roi. J'imagine vous satisfaire en vous donnant, à mon tour, des nouvelles de Naganda 58 , ce chef mic-mac que vous m'aviez présenté il y a quelques années. Sachez que ses rapports sont d'un intérêt soutenu. Les tribus avec lesquelles il a pris langue le regardent comme un homme venu pour les aider contre les Anglais. Vous connaissez l'agitation des colons américains contre leur métropole... Ses liaisons vont bon train ; il a touché ainsi les Tuscaroras, les Onondagas, les Senekas, les Mohawks, les