L'affaire Nicolas le Floch
faux, forgé à partir de modèles de la vraie écriture.
— Et la signature ?
— Forgée elle aussi, j'en ai la conviction. Il y a plusieurs signatures sur la minute, or elles sont identiques et superposables. Cela ne tient pas la route. Voilà, monsieur le commissaire, ce que je puis vous dire.
Nicolas avait gardé pour la fin le billet qui lui avait été adressé par la poste. Rodollet le regarda à peine et confirma, là aussi, la contrefaçon.
— Si j'ai bien compris le fond de cette affaire, dit-il, mes conclusions vous enlèvent une épine de pied. Soupçonnez-vous quelqu'un dans ce travail de faussaire ?
— Pour le moment, dit Nicolas, les pistes sont ouvertes.
— Si cela peut vous aider... Oh ! ce n'est qu'une impression un peu vague, mais je m'en voudrais de vous la celer. Il m'est revenu d'une expérience précédente et d'observations passées sur la manière d'attaquer une ligne... Cela n'a peut-être aucun sens et j'ai scrupule à troubler votre réflexion...
— Dites toujours.
— Eh bien, la personne qui a fabriqué ce faux pourrait, je dis bien pourrait , être un musicien, et plus précisément quelqu'un qui compose ou copie de la musique. Lorsqu'on place des notes sur une portée, on finit par acquérir une habitude qui transparaît dans sa propre écriture. Présentez mes respects à M. de Séqueville.
L'homme s'inclina et refusa poliment l'argent que Nicolas s'apprêtait à lui remettre pour sa consultation.
— Mille grâces, monsieur le commissaire. M. de Séqueville et moi sommes en compte.
Seul dans sa voiture, Nicolas réfléchissait avec une telle intensité que le sang lui martelait les tempes. Ainsi, le testament comme le billet de Julie s'avéraient faux. Cela confirmait qu'une force mauvaise attachée à ses pas s'évertuait, par tous les moyens possibles, à semer la suspicion et la calomnie. Une autre idée, plus insidieuse, lui traversa l'esprit. Les dernières remarques de M. Rodollet signifiaient que le probable faussaire avait quelque chose à voir avec la musique. Il songea tout de suite à Balbastre, dont la musique était l'occupation quotidienne et à ce Müvala qui touchait si galamment le piano-forte et dont la disparition autorisait à son égard les présomptions les plus diverses. Un froid le saisit en pensant à M. de La Borde, esprit éclectique et, à l'occasion, compositeur d'opéras. Il se remémora l'indulgence avec laquelle Mme de Lastérieux traitait le premier valet de chambre du roi. Lui seul, parmi ses amis bénéficiait de cette coquette attention. Il avait longtemps expliqué cette attitude par le souci de son amie de se faire un jour une place à la Cour. Mais il doutait maintenant qu'elle ait jamais pu nourrir une telle ambition, étant réduite au rôle déshonorant d'instrument gracieux de la haute police. Se pouvait-il qu'il y eût autre chose entre son ami, dont le libertinage était notoire, et la jolie veuve venue des Îles ? Et M. de La Borde n'était-il pas le mieux en mesure de connaître le détail des occupations de Nicolas et le secret de ses missions ? Il refusait cette idée, et d'ailleurs M. de La Borde n'était-il pas, lors de la soirée fatidique, présent chez M. de Noblecourt ? Tout était terriblement confus, et Nicolas se sentait pris dans les rets d'une machination contre sa vie et son honneur qu'il ne pouvait imaginer que mise en branle par une organisation aux multiples ramifications.
Quand il arriva rue Montmartre, le soir tombait. Il trouva le maître de maison lisant Ovide assis dans un grand fauteuil raide, le livre bien à plat sur la tablette d'un secrétaire. M. de Noblecourt prétendait ne pouvoir lire d'une autre manière, comme si la rigidité de cette habitude traduisait tout le respect qu'il vouait aux livres en même temps que la douceur amoureuse du traitement qu'il leur réservait.
— Vous voilà bien songeur, fit-il, fixant derrière ses bésicles le visage fermé du commissaire.
Il entendit le récit de la visite à M. Rodollet sans manifester la moindre émotion. La chandelle grésilla puis, après un dernier éclat, s'éteignit en fumant. M. de Noblecourt referma précautionneusement son livre, et dit, après un silence :
— Ne vous êtes-vous jamais demandé, mon cher enfant, ce qui vous avait conduit à devenir policier du roi ?
— Une série de hasards et une recommandation du marquis de Ranreuil à M. de Sartine.
— Que non pas ! Écoutez un vieux
Weitere Kostenlose Bücher