L'affaire Nicolas le Floch
Oneidas et les Cayudas. C'est un trésor, que ce fidèle-là ! Nous vous en remercions.
Nicolas s'émerveillait de la mémoire et des connaissances du prince, quand les pages les tirèrent par la manche. De nouveaux vols se profilaient. Pendant un long moment, les deux hommes furent tout au plaisir de la chasse, qui consistait à affronter des bandes qui volaient à grande vitesse pour les voir ensuite se disperser et se reformer encore. Ce n'était pas comme pour la vénerie le combat avec des animaux nobles, ou le risque couru face à la bête noire, mais un divertissement accru par l'abondance du gibier et la rapidité de ses envols. Le dauphin, bonhomme, nota avec un air complimenteur, que Nicolas tirait avec les fusils du roi et suggéra qu'il s'agissait d'un geste exceptionnel réservé à ceux que Sa Majesté souhaitait distinguer. Les oiseaux tombaient les uns après les autres, si vite que les barbets essoufflés ne parvenaient plus à les récupérer. Des Suisses chargeaient les fusils, les passaient aux pages qui les tendaient aux chasseurs. Le gibier ramassé serait comptabilisé sur des tablettes par le premier page de la petite écurie qui se rendrait ensuite dans le cabinet du roi pour recueillir les ordres concernant sa distribution. La plus grande part revenait aux pages, avec les douze traditionnelles bouteilles de champagne. Le roi était demeuré dans sa voiture. On lui avait porté sa chaufferette et il s'entretenait avec La Borde. Le tiré s'achevait et le dauphin invita gracieusement Nicolas dans son carrosse. Leur conversation, désormais aisée, se poursuivit sur la chasse, sujet sur lequel le prince était intarissable et le commissaire un puits de science.
Nicolas assista comme il convenait au débotté du roi, qui le gratifia d'un sourire heureux. M. de La Borde qui revenait à Paris lui proposa de le ramener. À peine était-il dans la voiture de Cour qu'en dépit du froid, il abaissa la glace de sa fenêtre.
— Seriez-vous quelque peu échauffé ? demanda Nicolas.
— Mon cher, peste soit du maréchal de Richelieu ! Je me trouvais près de lui dans le cabinet du roi. Ce vieux gandin mesure sa jeunesse à la puissance de l'odeur de bouc qu'il exhale. De tout temps, il s'est inondé de musc pur, si bien qu'il transporte avec lui à la fois les mâles odeurs du blaireau, du cerf et du sanglier en rut ou en brame et que l'on chantonne à Paris :
On doit quand Richelieu paraît dans une chambre
Bien défendre son cœur et bien boucher son nez.
Il se fait tailler des culottes de peau d'Espagne trempées dans le même parfum. Au théâtre, son fumet est si puissant que les loges voisines de la sienne se dégarnissent à l'entracte. Comment avez-vous trouvé le roi ?
Nicolas observa que, depuis quelques années, les plus proches et attentionnés serviteurs du souverain posaient invariablement cette question angoissée.
— Pour vous dire le vrai, encore un peu vieilli...
Le visage du premier valet de chambre se crispa et un soupir sortit de sa poitrine, comme s'il souhaitait se débarrasser d'une crainte qui lui serrait le cœur.
— Cependant, il retrouve meilleur air dès qu'il parle et s'anime.
— Que ne le voyez-vous plus souvent ! s'exclama La Borde. Il suffit d'avancer votre nom pour que son visage s'éclaire. Je ne sais d'où vient ce don qui vous permet de le distraire ; beaucoup s'y efforcent sans y parvenir. Mais vous, un tête-à-tête avec Sa Majesté et la voici rajeunie ! Quelle tristesse de le voir clapi frileusement dans sa voiture, lui qui aimait tant la chasse.
Il se tut un moment comme s'il réfléchissait et soupira à nouveau.
— Du temps de Mme de Pompadour, la chasse était suivie de petits dîners délicieux où l'on s'amusait. Maintenant c'est autre chose... La belle tempéramenteuse nous cause bien du souci et préoccupe les médecins du roi. Il se doit de répondre à ses ardeurs... Le vieux galantin musqué lui fournit des adjuvants redoutables dont il use et abuse sur ses conseils. Au vrai, la vieillesse qui monte lui fait peur. Il faut qu'il vérifie sans cesse qu'il n'est pas diminué. Corne de cerf en poudre et pastilles emplies de cantharides 59 sont constamment appelées à la rescousse.
— Semacgus m'a toujours mis en garde contre ces produits.
— Avec raison. Hélas, il est un temps où la vieille machine s'essouffle, ses ressorts se tendent par de trop fréquentes sollicitations et rien ne saurait y remédier. Le pire
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