L'affaire Nicolas le Floch
sceptique et étonnez-vous de ses propos. C'est la providence qui a souhaité jeter dans les jambes du crime un honnête homme à qui elle faisait confiance pour exécuter ses arrêts.
— Cela est fort aimable, dit Nicolas se déridant, mais ne me procure pas le nom de celui qui donne le « la » au concert qu'on me joue.
— Rappelez-vous que les éléments finissent toujours par s'assembler pour frayer la voie à la vérité. Et cela, par des menées impénétrables.
— Est-ce le crépuscule qui vous rend si sanctifiant, ou bien votre lecture...
Il se pencha sur le livre et lut avec difficulté le titre.
— ... d'Ovide. Ah ! je sais, la nostalgie des amours...
M. de Noblecourt secoua la tête.
— Voyez comme vous visez juste. Au moment même où vous êtes entré, je songeais à ma femme, ce cœur si noble et si fidèle. Combien la vie me pèserait sans elle que j'ai tant aimée, sans mes amis, sans vous-même, je puis bien vous le dire, qui avez pris la place qu'un enfant, longtemps espéré, avait laissée vacante, comme un bénéfice en déshérence.
C'était là une déclaration inouïe. Jamais le vieux magistrat ne s'était ouvert à ce point. Nicolas la devait-elle à l'obscurité qui les environnait ? Cette confidence donna le dernier coup à la souffrance longtemps amassée par Nicolas. La voix assourdie par l'émotion – assez maître de lui, toutefois, pour taire l'épisode de Londres – il dévida à son vieil ami la litanie de ses amours avec la Satin, et la présomption de paternité qui pesait désormais sur lui. Il exprima ses craintes et son indécision au sujet de cet enfant tombé du ciel et qui, depuis quatorze ans, ignorait ses origines.
— Calmez cette salutaire émotion, dit doucement M. de Noblecourt. Vous êtes le mieux à même de discerner le chemin, vous qui avez découvert votre père après sa mort. Le mal réside plus dans le manque de confiance que dans la spontanéité d'un élan qui, je le sens, vous pousse vers ce fils inconnu. Réfléchissez, prenez votre temps, et lorsque votre résolution sera prise, donnez à ce fils un père et à vous-même un enfant. Offrez-lui, lorsqu'il est encore temps, l'amour et l'appui qu'il est en droit d'attendre de vous. Rejetez les préjugés de naissance comme vous l'avez fait pour vous-même. Je vois venir un jour où ils ne seront plus rien. Rendez à cet enfant ce que le chanoine Le Floch, le marquis de Ranreuil et, je puis dire moi-même, vous avons offert. Agissez hardiment. Mais je m'émeus... Nous en reparlerons.
Il se leva et, à tâtons, fourragea dans le secrétaire.
— Une lettre de la Cour est arrivée à votre nom, cet après-midi.
Nicolas reçut le pli carré frappé du sceau aux armes de France. Il l'ouvrit après avoir rallumé la chandelle.
— Le secrétaire des commandements de Sa Majesté me transmet une invitation pour le tiré du roi, demain matin aux étangs de Satory. Je vais devoir aller préparer mon habit vert, le seul admis pour la chasse au fusil. Les grands froids entraînent le passage des sauvagines sur les pièces d'eau.
— Vous possédez là, dit M. de Noblecourt, une science qui dénote chez vous le gentilhomme de naissance, une belle tradition à se transmettre de père en fils.
Nicolas songea qu'il serait grand temps d'initier son fils. La conversation avec son vieil ami prit un cours apaisé, on parla des différents modèles de flûte, instrument dont touchait à l'occasion le maître des lieux. Nicolas regagna tôt ses quartiers soucieux de prendre quelque repos avant un départ bien avant l'aube pour être au rendez-vous de la chasse du roi à Versailles.
Vendredi 21 janvier 1774
Le soleil se levait quand sa voiture déboucha de l'avenue de Paris sur la place d'Armes. Une lumière froide et claire promettait un jour serein. Tout était figé de givre et de glace. Des lancettes transparentes tombaient en stalactites des grilles dorées du Louvre 57 . Sous les bottes de Nicolas, le pavé glissait et craquait. Il rejoignit le parc où, devant l'aile des Princes, s'alignait une longue théorie de carrosses attendant les invités. Ils conduiraient le roi et les chasseurs du côté de Satory, vers des champs inondés où passaient les oiseaux migrateurs. Nicolas fit les cent pas pour se réchauffer, échangeant des saluts et des propos aimables avec des courtisans de sa connaissance. Il jeta un œil indulgent sur quelques nouveaux venus, raides et gourmés dans leurs
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