L'affaire Nicolas le Floch
rappellera le bon vieux temps du Dauphin Couronné , dit Semacgus, quand la Paulet régalait ses pratiques avec les envois d'un de ses galants des Antilles.
Cette remarque raviva la hantise de Nicolas. Il se rappela avec un pincement au cœur que le chirurgien de marine avait été l'amant éphémère de la Satin, pensionnaire de la maison de plaisir. Il se calma en réfléchissant qu'alors l'enfant en question était né depuis longtemps.
— Messieurs, dit Bourdeau, nous voici réunis pour célébrer l'amitié et, ce faisant, pour aider Nicolas à élucider la triste affaire que vous connaissez. Quels sont les fruits de vos réflexions qui pourraient ouvrir de nouvelles voies ?
— Moi, dit Semacgus, j'ai fait une découverte dont vous me direz si, comme je le crois, elle est susceptible de nous intéresser. Vous savez que je suis engagé dans un vaste travail, un herbier général. Il me conduit à fréquenter le Jardin du roi et ses collections admirables. J'ai retrouvé, il y a peu, un homme que j'estime et qui est un maître en la matière. : M. Duhamel du Monceau 41 , à la fois herboriste et le praticien le plus éminent de notre construction navale.
— À quelle occasion l'avez-vous rencontré ? demanda Nicolas.
— Il est l'auteur d'un ouvrage sur l'art de conserver la santé aux équipages des vaisseaux du roi. Il souhaitait alors bénéficier de l'expérience d'un chirurgien de marine ayant beaucoup navigué. Lors de nos retrouvailles, je lui ai parlé de nos fameuses graines. Il est formel ; s'il s'agit du piment bouc, celui-ci n'est pas capable de déterminer les effets toxiques constatés. Il m'a suggéré que le piment servait peut-être de masque à une autre substance inconnue et plus vénéneuse.
— Le témoignage de Casimir nous fait tourner en rond, observa Bourdeau. Il cuisine un poulet. Or, le poison n'est pas dans le poulet : on le retrouve dans le lait de poule destiné à Mme de Lastérieux. Casimir a vu Nicolas, qui le certifie lui-même ; or, il feint de ne point l'avoir croisé. Il nous dit que Müvala a passé la soirée rue de Verneuil et, dans le même temps, renâcle à envisager que sa maîtresse ait nourri le moindre faible pour ce godelureau. Que de contradictions !
— En vérité, dit Sanson, ma modeste expérience – je dirais plutôt mon intuition, moi qui l'ai questionné – m'incite à penser qu'il mentait.
— Mais pourquoi ce mensonge ? demanda Bourdeau. C'est à croire que quelqu'un le pousse ou le force à dissimuler la vérité.
— Résumons la chose, dit Semacgus. Il me semble que Bourdeau pose la bonne question. Qui, dans cette affaire, a intérêt à ce que les soupçons pèsent de telle manière qu'ils finiront par accabler un commissaire au Châtelet ? Un confrère jaloux, un rival ou un de ces criminels confondus naguère par l'intelligence de notre ami ?
Nicolas se mordait les lèvres d'impuissance, se trouvant dans l'impossibilité d'orienter ses amis en leur révélant la face cachée de l'affaire : le fait que Mme de Lastérieux était un instrument de la haute police. Elle-même subissait sans doute un chantage odieux ou des pressions. Et que dire des attentats contre Nicolas, dont le lien avec le crime de la rue de Verneuil n'était d'ailleurs pas prouvé ? Comment comprendre l'espèce de haine rageuse accumulant les fausses preuves comme si, non seulement désireux de le détruire, l'ennemi invisible entendait le déshonorer en le traînant à l'échafaud. Que serait-il devenu sans l'aide et la confiance de ses amis et du lieutenant général de police, pour ne pas parler de celles du roi ?
Un triple éclat de rire le tira de sa réflexion. Catherine, toute drapée à l'africaine dans une masse ondulante de jaune et de rouge, annonçait le souper, sa large face camuse surmontée d'un superbe madras noué. Derrière elle, et se battant les flancs d'allégresse, Awa jouissait de la surprise des convives. Ils prirent place à une petite table dressée près de la fenêtre. Semacgus sortit un papier de sa poche.
— Messeigneurs, annonça-t-il, voici le menu. Une galantine d'oseille de haricots à la bretonne. En votre honneur, monsieur le commissaire. Ensuite, des oreilles de porc à la barbe Robert, que suivront des boudins de foie gras et de chapon. Enfin pour la bonne bouche, un grand poulpeton 42 de poissons préparé par Dame Catherine Gauss, ancienne cantinière des armées du roi. Un entremets de choux-fleurs
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