L'affaire Nicolas le Floch

au parmesan, un gâteau à la Bavière et une brioche fourrée à la gelée de gratte-cul.
    Il y eut des cris d'enthousiasme.
    — Et quels nectars arroseront tout cela ? s'inquiéta Bourdeau.
    — Vins rouges claret de Bordeaux, en provenance de Fronsac, cadeau du maréchal de Richelieu à M. de Noblecourt qui m'en a fait tenir quelques bouteilles dans la délicate attention d'être malgré tout présent à ce souper. Elles seront bues à sa santé et...
    Il sortit une bouteille allongée d'un rafraîchissoir.
    — ... un vin de Rhin, un eiswein , plus communément appelé vin de glace. Imaginez le raisin forcé à une maturation extérieure par la brume automnale, ce qu'on appelle le traubendrücker , le presse-raisin. Une gelée subite et l'eau réduite à l'état de glace reste sur le pressoir, abandonnant à la cuve un extrait d'huiles sucrées et parfumées.
    — Et où trouve-t-on cette merveille ?
    — Dans le Rheingau allemand, près de Johannisberg.
    — J'ignorais, dit Nicolas, votre connaissance de cette langue.
    — Que n'ignorez-vous encore de moi..., répondit Semacgus, énigmatique.
    Le souper se déroula comme une symphonie bien réglée. Sanson se révéla, après la réserve du début, un convive fort disert, bien davantage qu'en présence de sa femme. La suavité du vin de glace et l'alacrité du fronsac animaient les conversations. Awa virevoltait autour d'eux. Parfois sa main s'appuyait avec une tendresse non feinte sur l'épaule de Semacgus. Leur connivence nouvelle s'imposait à tous et l'incorrigible libertin semblait s'être acheté une conduite. Nicolas supposait qu'une alerte de santé avait ramené un peu de raison dans cette vie agitée et convaincu le chirurgien de marine des charmes de la vie d'un logis accueillant, où son tempérament trouvait licence dans les agréments d'une liaison ancillaire. Les conséquences de cette conversion se lisaient heureusement sur les traits d'un homme longtemps abonné aux nuits d'abandons ; son visage vermeil et reposé resplendissait d'une dignité nouvelle, sans les stigmates de naguère. Le sommet du souper fut atteint avec l'apparition du poulpeton de poissons. Catherine fut convoquée pour en débiter la recette.
    — Alors, mezieux, il faut vaire un hachis d'anguilles et de carpes. Pour la carpe, Awa a tenu la grosse bête une semaine dans un baquet d'eau pour lui faire berdre toute odeur de vase. Enzuite, il faut assaizonner avec sel, poivre, muscade et, zou, le hachis dans une huguenote de terre 43 dont les flancs sont frottés de beurre fin. Les peaux de la carpe placées tout autour par le dedans, vous mettez la chair hachée de l'épaisseur d'un demi-pouce depuis le bas jusque le haut et remplissez dessus de truffes, morilles, foies de brochets, langue de carpe, le tout manié de beurre. Vous couvrez le tout avec de la farce comme un bâté. Vous fermez avec une assiette d'argent et faites cuire devant le feu en tournant. Enfin, il reste à renverzer sur un plat creux et arroser de jus de citron et de pistaches mondées.
    Les applaudissements éclatèrent, empourprant de fierté le visage de Catherine.
    — Ce qui est délicieux, dit Nicolas, toujours amateur des contrastes en cuisine, c'est le croustillant de la surface et la suavité des couches intérieures.
    — Le délectable des langues et des foies de poissons qui densifient sans alourdir et l'arôme qui s'exalte de tout cela, renchérit Bourdeau.
    — Arrosons ! Arrosons ! chantait Sanson qui avait tombé la veste de son bel habit vert et brandissait son verre. Voici le véritable népenthès 44 qui vous rend joyeux et vous délivre des sombres et noires pensées !
    Ils continuèrent à évoquer les spectacles à la mode et les rumeurs de la ville. Semacgus rapporta même le bruit de policiers arrêtés à Londres pour avoir voulu assassiner Théveneau de Morande, auteur de pamphlets infâmes. Nicolas ne broncha pas. Plus tard, alors qu'ils devisaient en sirotant, suivant l'habitude de la maison, un vieux rhum de la collection de Semacgus, liqueur qui avait pour le moins fait deux fois le tour de la terre, la conversation revint sur l'affaire de la rue de Verneuil. Ce fut Bourdeau, qui sans y toucher, réorienta les propos qui divaguaient.
    — Messieurs, il y a un détail que je souhaiterais voir précisé pour la clarté de l'enquête et la sécurité du commissaire Le Floch.
    La solennité de l'exorde rétablit l'attention dissipée par les vapeurs de l'alcool