L'affaire Nicolas le Floch
la mort d'un détenu, surtout en cas de suicide. L'image d'un vieux soldat jeté dans le crime par la misère resurgissait alors comme un remords 45 . Il repéra aussitôt sur un escabeau une assiette de faïence avec un reste de fricot composé de cervelas et de haricots. Il porta à son nez un cruchon de terre ayant contenu, à ce qu'il sentit, du vin d'assez bonne qualité. Tout cela était si éloigné de l'ordinaire de la prison qu'il en avisa Bourdeau, lui enjoignant de tout faire pour connaître la provenance de ces victuailles.
— Vous noterez la cuillère, dit Bourdeau. En argent, ma foi ! Cela est transparent !
— C'est bien ce que je pense : tout indique un traitement « à la pistole ». Dire qu'on place ce prévenu au secret pour éviter les incessantes collusions vérifiées chaque jour entre visiteurs et détenus, et voilà ce qui arrive ! Un témoin essentiel, le rare fil solide d'un nœud embrouillé, se rompt entre nos doigts.
Deux gardes apparurent, portant un brancard. Le corps y fut placé et aussitôt conduit à la basse-geôle escorté par le bourreau et le chirurgien. Nicolas et l'inspecteur consacrèrent près d'une heure à interroger les geôliers. Il s'avérait que, vers huit heures de relevée, un homme, ni vieux ni jeune, ni grand ni petit, dont aucun détail n'attirait l'attention et qu'aucun n'aurait pu reconnaître, s'était présenté, habillé en valet de cuisine, pour livrer une portion destinée à Casimir. Quelle que fût la surprise des gardes, aucun doute ne les avait effleurés. L'affaire pour laquelle l'esclave était emprisonné demeurait à leurs yeux mystérieuse et le traitement qu'on lui réservait inhabituel. Comment se faisait-il qu'il disposât d'une cellule confortable ? Le comble était que l'homme avait excipé du nom du commissaire Le Floch et que son affirmation avait levé toute réserve éventuelle. Peu après que le repas eut été remis au prisonnier, des gémissements se firent entendre. Le temps d'ouvrir la porte, le pauvre nègre agonisait déjà ; il était mort en quelques minutes.
Quelle maîtrise, pensait Nicolas, dans l'exécution du mal ! Quoi de plus simple, en effet, qu'un inconnu, sans doute grimé et usant d'un nom officiel, et qui livre, comme l'autorise l'usage, un plat acheté et confectionné à l'extérieur de la prison. Celui-ci est confié au gardien, on précise que son prix a été réglé, il n'est même pas besoin d'un contact direct avec la victime qui, sans soupçons et heureusement surprise de cette amélioration inattendue de son ordinaire, se jette sur cette pitance. Quelle lâcheté et quelle perfidie ! Nicolas frémit en songeant que de nouvelles accusations auraient pu s'ajouter à d'autres portées contre lui, sauf qu'en la circonstance rien dans son emploi du temps de la veille ne permettait de le faire : jamais il ne s'était trouvé seul. Il y avait fort à parier que le meurtrier inconnu ne le savait pas, ce qui tendait à prouver qu'il n'était plus sur la piste de Nicolas, pour le moment du moins.
L'ouverture du corps de Casimir eut lieu en début de matinée, aussitôt que les deux praticiens eurent récupéré les instruments nécessaires et quelques rats. L'opération fut rapide et concluante : le prisonnier avait été empoisonné par une substance inconnue contenue dans les aliments. Mais cette fois, ce poison ne dépendait plus de la présence d'épices particulières. Nicolas en tira une certitude : si des fragments de graines pilées avaient été retrouvés dans le lait de poule de Mme de Lastérieux, celles-ci, inoffensives, ne pouvaient y avoir été ajoutées que pour faire porter le soupçon sur Casimir et, par-delà celui-ci, sur Nicolas. Les mêmes effets produisant les mêmes causes, tout conduisait à envisager un coupable unique, répétant habilement son procédé. Dans ce dernier cas, cependant, le coupable n'avait pas cherché à dissimuler la nature du produit homicide. Quant à retrouver le prétendu garçon de cuisine parvenu jusqu'au cœur de la prison, autant, disait Bourdeau, rechercher une aiguille dans une botte de foin. Si, déjà, Müvala et les autres jeunes gens présents rue de Verneuil s'étaient dissipés dans l'atmosphère au point que l'on pouvait douter de leur existence, il serait sûrement impossible de déterminer l'identité de l'assassin de Casimir.
Nicolas demanda à Bourdeau d'interroger à nouveau Julia, la compagne du mort, prostrée et presque
Weitere Kostenlose Bücher