L'âme de la France
notamment à Grenoble en 1966 –, la gauche devient attirante, « moderne ».
La base électorale du gaullisme se réduit d'autant. Les élections législatives de 1967 confirment à la fois le succès de la gauche et l'érosion du parti gaulliste, de plus en plus dépendant de ses alliés du centre et de la droite traditionnelle, qui sont, eux, de plus en plus réticents.
Les propos que tient de Gaulle à Montréal, le 24 juillet 1967, saluant d'un « Vive le Québec libre ! » la foule qui l'acclame, scandalisent un peu plus. De Gaulle perdrait-il la raison ?
Ceux du 27 novembre 1967, lors d'une conférence de presse consacrée au Moyen-Orient, et qui qualifient le peuple juif de « peuple d'élite, sûr de lui-même et dominateur », le mettant en garde contre les actions de guerre et de conquête qui l'entraîneraient dans une confrontation sans fin avec les États voisins, suscitent indignation, condamnation, incompréhension.
Certains évoquent le vieil antisémitisme maurrassien. Mais l'excès même de ces accusations inexactes portées contre de Gaulle montre que celui-ci ne fait plus l'unanimité, pis : qu'il n'est même plus respecté, qu'il exaspère, que de larges secteurs du pays, en cette fin d'année 1967, ne le comprennent plus. Et que, pour d'autres, il appartient à un monde révolu.
Il aura soixante-dix-huit ans en cette année 1968 qui commence.
À Caen, de jeunes ouvriers en grève affrontent violemment les forces de l'ordre le 26 janvier.
À Paris, des étudiants, membres du Comité Viêt Nam national, brisent les vitres de l'American Express ; certains sont arrêtés. Et le 22 mars, à Nanterre, la salle du conseil de l'université est occupée.
Un étudiant franco-allemand, Cohn-Bendit, crée le Mouvement du 22 mars. La « nouvelle France », celle des jeunes qui ont autour de vingt ans, apparaît sur le terrain politique et social ; elle annonce une nouvelle séquence historique. Cette génération s'interroge sur le sens d'une société dont elle ne partage pas les valeurs officielles.
L'un de ces nouveaux jeunes acteurs de la vie intellectuelle et sociale, Raoul Vaneigem, qui se définit comme situationniste , écrit en ce mois de mars 1968 : « Nous ne voulons pas d'un monde où la garantie de ne pas mourir de faim s'échange contre celle de mourir d'ennui. »
Le flux inéluctable des générations entraîne et modifie l'âme de la France.
69.
Mai 1968-juin 1969 : c'est l'année paradoxale de la France.
En mai 1968, le pays est en « révolution ». Le gouvernement semble impuissant. Pierre Mendès France et François Mitterrand se disent prêts à prendre un pouvoir qui paraît à la dérive.
Un mois plus tard, le 30 juin, la France élit dans le calme l'Assemblée nationale la plus à droite depuis 1945. Rejetés en mai, les gaullistes y détiennent la majorité absolue pour la première fois depuis le début de la V e République.
Mais, le 28 avril 1969, au référendum proposé par de Gaulle, le non l'emporte avec 53,18 % des voix. Conformément aux engagements qu'il a pris, de Gaulle « cesse d'exercer ses fonctions ».
Un mois et demi plus tard, le 15 juin 1969, l'ancien Premier ministre du général de Gaulle, Georges Pompidou, est élu président de la République avec 57,8 % des suffrages exprimés !
Cette année jalonnée de surprises et de paradoxes est un condensé d'histoire nationale, une mise à nu et une mise à jour de l'âme de la France.
Le spectacle commence dans la nuit du 10 au 11 mai 1968, quand le Quartier latin, à Paris, se couvre de barricades pour protester contre l'arrestation d'étudiants, l'occupation et la fermeture de la Sorbonne par la police qui les en a délogés.
C'est comme si les étudiants, dépavant les rues, rejouaient les journées révolutionnaires, retrouvant les gestes des insurgés du xix e siècle, ceux de 1830 ou de 1832, de 1848 ou de 1871, mais aussi ceux des combats de la Libération, en août 1944.
C'est un théâtre de rue : pavés, arbres sciés, voitures incendiées, charges des CRS accueillies aux cris de « CRS, SS », effet de la mémoire détournée qui devient mensongère.
Dans ces affrontements, en brandissant le drapeau rouge, on joue aussi des épisodes de la lutte des classes mondiale : on invoque Marx, Lénine, Trotsky, Mao, Che Guevara, le Viêt-cong, et on dénonce l'impérialisme américain.
En cette première quinzaine de mai 1968, Paris marie la
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