L'âme de la France
trouve ainsi déformée, amputée.
Dans ce climat, de Gaulle et les valeurs qu'il représente sont condamnés.
« Adieu de Gaulle, adieu », « De Gaulle au musée » : ces slogans des manifestants rendent compte en négatif des aspirations des nouvelles générations.
Le nouveau Premier ministre (Maurice Couve de Murville a remplacé Georges Pompidou, qui a efficacement fait face aux événements de Mai, mais qui apparaît comme un candidat possible à la présidence de la République) incarne plus caricaturalement que de Gaulle les valeurs de cette histoire française que la révolution de Mai a dévalorisées.
De Gaulle est parfaitement conscient du changement intervenu, du « désir général de participer... Tout le monde en veut plus et tout le monde veut s'en mêler. » Mais le référendum qu'il propose le 28 avril 1969, visant à modifier le rôle et la composition du Sénat et à changer l'organisation des collectivités territoriales, ne peut répondre à l'attente qui traverse la société.
En somme, de Gaulle est devenu le vivant symbole du passé.
Sa place est en effet, au musée, dans l'histoire révolue.
Et l'on voit déjà se profiler derrière lui un homme d'État moderne : Georges Pompidou. L'ancien Premier ministre, s'est contenté, pendant la guerre, d'enseigner. Il a « vécu », a été banquier chez Rothschild. Il aime l'art contemporain, est photographié avec un pull noué sur les épaules. Des rumeurs tentent de le compromettre avec le monde de la nuit et de la débauche. Il s'agit d'une tentative visant à l'abattre. Mais peut-être qu'au contraire cette calomnie a plaidé en sa faveur.
Ce n'est plus un héros quasi mythologique que la France désire. Elle veut un homme non pas quelconque, mais plus proche.
Le non l'emporte au référendum du 28 avril 1969.
« Je cesse d'exercer mes fonctions de président de la République. Cette décision prend effet aujourd'hui à midi », communique de Gaulle à 0 h 10, le 29 avril.
Georges Pompidou est élu président de la République le 15 juin 1969 avec 57,8 % des suffrages exprimés, contre 42,25 % à Alain Poher, modéré, président du Sénat.
Au premier tour, les candidats de la gauche socialiste (Defferre, Rocard) obtiennent respectivement 5,1 et 3,61 % des voix).
Mitterrand, prudent et lucide, n'a pas été candidat.
Le communiste Duclos a rassemblé 21,5 % des voix.
Le trotskiste Krivine, 1,05 %.
Tel est le visage électoral de la France un an après la « révolution » de Mai.
La gauche n'est pas présente au second tour du scrutin, alors qu'en 1965 Mitterrand avait mis de Gaulle en ballottage.
Pourtant, malgré la victoire de Georges Pompidou, la République gaullienne est morte.
De Gaulle n'y survivra pas longtemps.
Il meurt le 9 novembre 1970.
Refusant tous les hommages officiels, il avait souhaité être enterré sans apparat à Colombey-les-Deux-Églises.
Il avait écrit, dédicaçant un tome de ses Mémoires à l'ambassadeur de France en Irlande, quelques semaines après son départ du pouvoir, une pensée de Nietzsche :
Rien ne vaut rien
Il ne se passe rien
Et cependant tout arrive
Et c'est indifférent.
5
LA FRANCE INCERTAINE
1969-2007
70.
En 1969, comme si souvent au cours de son histoire, la France entre dans le temps des incertitudes.
Elle avait choisi durant une décennie de s'en remettre au « héros » qui, une première fois, l'avait arrachée aux traîtres, aux médiocres et aux petits arrangements d'une « étrange défaite ».
Respectant le contrat implicite que le pays avait passé avec lui, de Gaulle avait mis fin à la tragédie algérienne.
La France pouvait donc – le moment, l'occasion, les modalités, seraient affaire de circonstances – renvoyer le héros au « musée » de ses souvenirs.
De Gaulle parti, la France est incertaine.
Les successeurs – Georges Pompidou (1969-1974), Valéry Giscard d'Estaing (1974-1981), François Mitterrand (1981-1995), Jacques Chirac (1995-2007) – ne sont, chacun avec son rapport singulier à la France, au monde, à la vie, que des hommes politiques.
Ils ne gravissent plus les pentes de l'Olympe, mais les modestes sommets d'une gloire politicienne, même si l'avant-dernier, qu'animait une jalousie rancie à l'égard de De Gaulle, rencontré pour la première fois en 1943, a tenté – on a l'Olympe qu'on peut – de construire sa mythologie en conviant ses courtisans et les caméras à l'ascension,
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