L'âme de la France
pique.
« Ces têtes, et d'autres que je rencontrai bientôt après, changèrent mes dispositions politiques, écrit Chateaubriand. J'eus horreur des festins de cannibales, et l'idée de quitter la France pour quelque pays lointain germa dans mon esprit. »
L'émigration commence dès ce printemps de 1789.
Il y aura bientôt, comme si souvent dans notre histoire nationale, un « parti de l'étranger » pour se vouloir, se rêver et se proclamer parti de la « vraie France ».
36.
Le bruit que font les tours de la Bastille en s'effondrant sous la pioche des démolisseurs, ces ouvriers à demi nus que la foule acclame, pas un Français qui ne l'entende.
La surprise, l'angoisse, l'enthousiasme et la colère se mêlent, créant en quelques jours une « émotion nationale » qui prolonge les débats auxquels ont donné lieu, au printemps, les élections des délégués aux états généraux. Jamais l'existence d'une nation centralisée, déjà fortement unifiée, ne s'était manifestée avec une telle force, une telle rapidité.
C'est bien une spécificité française qui est à l'œuvre : entre la capitale – l'épicentre – et les périphéries, entre les villes et les campagnes, un échange s'établit, les événements se renforçant les uns les autres.
C'est l'état du royaume, secoué par les jacqueries, et les questions fiscales qui ont conduit à la réunion des états généraux ; ce sont les événements parisiens qui attisent maintenant les foyers provinciaux.
Il y a bien, en cet été 1789, une nation qui se reconnaît comme « une » en réagissant avec la même exaltation aux nouvelles et aux rumeurs que répandent journaux, pamphlets et voyageurs. Et que rapportent les députés du tiers quand ils retournent auprès de leurs mandants, ou que, comme presque chaque jour, dans leurs lettres détaillées, ils leur font le récit de ce qui se passe à l'Assemblée nationale constituante, dans les rues de Paris ou autour de cette Bastille où l'on a dressé des tentes pour des cafés provisoires, où l'on se presse comme à la foire Saint-Germain et à Longchamp, où l'on rencontre « les orateurs les plus fameux, les gens de lettres les plus connus, les peintres les plus célèbres, les acteurs et les actrices les plus renommés, les danseuses les plus en vogue, les étrangers les plus illustres, les seigneurs de la Cour et les ambassadeurs de l'Europe : la vieille France était venue là pour finir, la nouvelle pour commencer » (Chateaubriand).
Mais, devant ce champ de ruines, cette forteresse abattue, ce qui l'emporte dans tout le royaume, c'est une « grande peur ». On craint les brigands, on redoute les troupes étrangères appelées par le roi pour mettre fin à cette « jacquerie » nationale.
Les rumeurs se répandent. Les paysans se souviennent des grappes de pendus aux arbres après chacune de leurs jacqueries. Ils s'arment. Ils pillent les convois de grain. Ils tuent. Ils attaquent les châteaux. Ils incendient. Ils réclament la fin des privilèges. Ils veulent la terre. Ils exigent l'égalité.
Comment arrêter cette marée du quart état, des « déguenillés », des « infortunés », paysans pauvres, manouvriers et sans-culottes des villes ?
Tous réclament la « fin d'un monde », un renversement de l'ordre, afin de voir naître une autre organisation sociale dont ils savent seulement qu'elle doit mettre fin aux privilèges.
L'Assemblée nationale constituante les entend, veut les apaiser : elle abolit les privilèges dans la nuit du 4 août, et vote la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, le 26 août de cette même année 1789.
On proclame que « les hommes naissent libres et égaux en droit », que « les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l'utilité commune ».
Pensées et principes radicaux. La France fait l'expérience nationale unique de la naissance, à partir d'une rébellion nationale, d'une révolution. De l'avènement d'un nouveau monde.
La violence a imposé la défaite politique et militaire du pouvoir en place.
Mais, dans le même temps, le peuple va découvrir que les principes d'égalité s'arrêtent à la porte des propriétés.
On abolit le régime féodal, mais seulement pour ce qui concerne les droits personnels. Ceux qui sont liés à la terre doivent être rachetés.
On décrète que les « hommes sont égaux », mais seuls voteront les citoyens « actifs », seuls seront
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