L'âme de la France
contemporaine.
Depuis 1788, dans le creuset de la Révolution, ces comportements et ces sensibilités politiques vont s'inscrire dans l'âme de la France.
Comme l'écrit Chateaubriand, témoin privilégié, l'Assemblée constituante avait déjà été, « malgré ce qui peut lui être reproché, la plus illustre congrégation populaire qui ait jamais paru chez les nations, tant par la grandeur de ses transactions que par l'immensité de leurs résultats ».
L'Assemblée législative est tout aussi importante : elle précise les contours d'une exception française.
Aucun peuple n'a fait à un tel degré, dans toute son épaisseur sociale, une telle expérimentation politique.
La France devient la nation politique par excellence.
Il y a à l'Assemblée et dans le pays une « droite » et une « gauche ».
Des ébauches de partis politiques reclassent les députés, rassemblent leurs partisans dans des débats passionnés.
Une opinion politique se constitue, se déchire, excommunie telle ou telle de ses tendances.
Le club des Feuillants (Barnave, La Fayette) est partisan de la monarchie constitutionnelle. Il veut arrêter la révolution au point où elle est parvenue.
Les clubs des Jacobins (Robespierre) et des Cordeliers (Danton, Desmoulins) veulent démasquer les trahisons de la monarchie.
La presse – Marat et son Ami du peuple , l'abbé Royou et son Ami du roi –, les libelles, expriment ces combats d'idées, galvanisent les « aristocrates » ou les « patriotes ».
La foule fait irruption dans la salle du Manège, où siège l'Assemblée. Elle envahit les tribunes, distingue parmi les députés ces élus de Bordeaux, ces Girondins – Brissot, Vergniaud, Roland… – au grand talent oratoire.
Ceux-là clament que l'Europe doit suivre l'exemple français.
Ainsi se forge, dans ces premiers mois de la Législative, l'idée que la nation française a une mission particulière, qu'elle est exemplaire. Il lui faut devancer par une guerre patriotique celle que s'apprêtent à lui faire – lui font déjà – les émigrés rassemblés dans une armée des princes qui se constitue à Coblence autour des frères du roi, les comtes de Provence et d'Artois.
Le girondin Isnard déclare : « Le peuple français poussera un grand cri, et tous les autres peuples répondront à sa voix. »
Certains – tel Robespierre – récusent cette prétention, se méfient de ce patriotisme révolutionnaire qui devient belliciste, qui s'imagine que les peuples vont accueillir avec enthousiasme les « missionnaires armés ». Mais l'idée de guerre s'impose et paraît une solution aux problèmes auxquels est confronté le pays.
Surtout, elle canalisera la passion révolutionnaire.
Elle permettra par les prises de guerre – le butin – de faire face à la crise financière et économique qu'aggrave la mauvaise récolte de 1791.
Dans les campagnes, dans les villes, le pain, la viande et le sucre manquent ou sont hors de prix. Dans le débat politique, des voix de plus en plus nombreuses, venues du quart état, mais qui trouvent écho dans L'Ami du peuple et dans les clubs, réclament la taxation des denrées.
La faim, la cherté de la vie poussent à l'émeute, aux violences.
On dénonce les « accapareurs ». On impose par la force les prix de vente.
Une aile radicale s'exprime, s'organise, agit, élargissant encore la palette des courants politiques, enfournant dans la machine révolutionnaire de nouveaux combustibles.
Flambent cependant déjà, dans de nombreuses régions, les oppositions entre prêtres jureurs et réfractaires.
Les paysans de l'Ouest s'opposent à ce que de nouveaux prêtres viennent dire la messe en lieu et place de leurs curés.
Ici et là, en Bretagne, en Provence, dans la vallée du Rhône, des « aristocrates » s'organisent militairement, parfois en liaison avec les émigrés.
Le 9 novembre 1791, l'Assemblée législative vote un décret exigeant de tout émigré qu'il rentre en France avant le 1 er janvier 1792 sous peine d'être coupable de conspiration.
Le 21 novembre, un autre décret exige des prêtres qu'ils prêtent serment à la Constitution.
À chacun de ces décrets, le roi oppose, conformément aux pouvoirs que lui accorde la Constitution, son droit de veto.
Une épreuve de force s'ébauche entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif appuyé sur le mouvement des clubs et sur cette opinion publique soupçonneuse envers un
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