L'âme de la France
royaume, entrer en conflit avec lui, c'est commettre un acte sacrilège, attester qu'on veut créer une « Église » constitutionnelle.
La cohérence existant sous la monarchie absolue entre religion et royauté, l'Assemblée constituante semble vouloir la maintenir, mais entre un monarque constitutionnel et une Église soumise à l'État, et non plus au pape.
« L'Église est dans l'État, l'État n'est pas dans l'Église », dira un député du tiers.
Mais si le roi, en bon catholique, refuse la Constitution civile du clergé, cela signifie aussi qu'il rejette l'idée de monarchie constitutionnelle à laquelle il a semblé se rallier.
Quand il tente de fuir avec la famille royale, le 20 juin 1791, il manifeste, comme il l'écrit, qu'il ne peut accepter les nouveaux pouvoirs, ceux des députés, des clubs, des citoyens. Il se dit fidèle au gouvernement monarchique « sous lequel la nation a prospéré pendant mille quatre cents ans ».
Arrêté à Varennes, reconduit à Paris, il aura fini de perdre, aux yeux de la foule silencieuse qui assiste à son retour dans la capitale, tel un prisonnier, toute légitimité. Les soupçons se sont mués en accusation.
Et certains, le 17 juillet 1791, au Champ-de-Mars où Louis XVI avait juré fidélité à la Loi, déposent une pétition réclamant sa déchéance et la proclamation de la république.
L'engrenage révolutionnaire a franchi une nouvelle étape.
Mais l'Assemblée, le tiers état, tous ceux qui veulent enrayer cette fuite en avant, cette radicalité qui peut remettre en cause toute l'organisation sociale (les propriétés), échafaudent la fiction d'un enlèvement du roi, et la garde nationale commandée par La Fayette ouvre le feu sur les pétitionnaires.
Le souverain sera maintenu au prix d'un mensonge et d'une cinquantaine de morts.
Journée décisive, lourde de conséquences non seulement pour le mouvement de la Révolution, mais pour l'histoire nationale.
Un fossé sanglant vient de se creuser entre « modérés », partisans de la monarchie constitutionnelle, et « radicaux », entre ceux qui recherchent un compromis politique – donc un accord avec le roi – et ceux qui jugent que le monarque est un traître.
Louis XVI innocenté – mais nul n'est dupe de cette fable de l'enlèvement – va prêter serment à la Constitution le 14 septembre 1791.
Et l'Assemblée nationale constituante cède la place le 30 septembre 1791 à l'Assemblée législative.
Après la fuite manquée du roi, l'émigration de la noblesse s'est accélérée. L'armée est en crise et le soupçon de trahison pèse sur toute la Cour.
Avec une lucidité aiguë, Barnave – avocat libéral, élu du Dauphiné, partisan d'une monarchie constitutionnelle, un des acteurs de la réunion de Vizille en 1788 – écrit :
« Ce que je crains, c'est le prolongement indéfini de notre fièvre révolutionnaire. Allons-nous terminer la révolution, allons-nous la recommencer ? Si la révolution fait un pas de plus, elle ne peut le faire sans danger ; c'est que, dans la ligne de la liberté, le premier acte qui pourrait suivre serait l'anéantissement de la royauté ; c'est que, dans la ligne de l'égalité, le premier acte qui pourrait suivre serait l'attentat à la propriété... »
Mais comment stabiliser une situation dès lors que l'une des pièces principales de l'échiquier politique – le roi, la Cour, le parti aristocratique – cherche à reprendre le royaume en main comme si rien ne s'était passé depuis le printemps 1789 ?
37.
C'est une France nouvelle que représentent les 745 députés de l'Assemblée législative qui se réunissent à Paris pour la première fois le 1 er octobre 1791.
Robespierre avait fait voter par l'Assemblée constituante une proposition décrétant, avant de se séparer, l'inéligibilité de ses membres.
Ce sont donc des hommes nouveaux, surgis des assemblées locales, qui ont été élus.
Avocats, médecins, militaires, ils sont le visage de cette France qui, depuis près de trois ans, est labourée par les événements révolutionnaires, les affrontements sociaux, les bouleversements institutionnels et cette nouvelle guerre de religion qui oppose prêtres jureurs et prêtres réfractaires.
Ainsi naissent à partir des débats électoraux et des « émotions » populaires – Grande Peur, jacqueries, émeutes, cortèges, violences urbaines – les pratiques politiques de la France
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