L'amour à Versailles
quand elles ne sont pas « folles à la messe ». Versailles devient ennuyeux, il se vide, se délabre, s’éteint, et le roi meurt. La Cour quitte le château, Mme de Maintenon s’en va et se retire à Saint-Cyr pour y mener une existence pieuse, jusqu’à sa mort. Au moins sa fin ne fut-elle pas hypocrite.
1 Cité par Michel de Decker, Louis XIV, le bon plaisir du roi , Belfond.
Chapitre 10
Un château intime
Il y a deux Versailles, celui des fastes, des lumières, de la galerie des Glaces et des salons d’apparat, et puis un autre, intime, si labyrinthique que personne ne le connaît vraiment. Pour moi, foi de jardinier, c’est le jardin secret de Versailles, et c’est pour cela que je l’aime. J’ai la chance d’avoir accès aux clefs du château. Ce sont de lourdes clefs, grandes, longues qui semblent très anciennes même si elles ne sont pas d’époque. Elles ouvrent un Versailles secret, inconnu, pour sa majeure partie, du grand public, le Versailles des petits appartements, des cabinets secrets et autres antichambres. C'est ce qui rend les plans du château si difficile à dessiner, et si difficile à lire : toutes les salles sont doublées de minuscules piécettes, qui forment autant d’alvéoles accolées à la ruche du Versailles public. Certains de ces endroits avaient une destination précise, comme la chambre de Marie-Antoinette ou la pièce des bains deLouis XV, d’autres semblent posés là, sans autre mission que d’offrir un recoin à l’abri des regards, pour y être enfin seul, ou seuls.
La vie des rois, mais aussi de la Cour, est une constante représentation : si Versailles est un théâtre, les petits appartements en sont les coulisses. Prenez la chambre de la Reine, tout en dorures, en pompons et en tissus précieux : dans cette pièce, toutes les reines, de Marie-Thérèse à Marie-Antoinette, se sont livrées aux activités officielles. C'est là qu’elles ont accouché (dix-neuf « Enfants de France » y sont nés), qu’elles ont accordé audience, le matin après la toilette ou qu’elles ont été habillées, lors du petit-lever. Les murs y sont hauts, les décorations en sont un peu pesantes car, même si la pièce a été en grande partie refaite sous Louis XV, chaque génération y a ajouté sa touche, ici des angelots, là-bas des moulures, encore du cristal, une balustrade d’or pour délimiter le périmètre de l’intimité royale, de la broderie et, pour finir, sur un baldaquin déjà croulant sous les dorures, de grandes plumes blanches pendant comme des saules pleureurs. A la fin, l’endroit ressemble à un écrin bourré jusqu’à la gueule, dans lequel manquerait la pièce maîtresse. Si le luxe y abonde, l’endroit est sans âme. Moi, dans une chambre pareille, j’aurais fait des cauchemars, Marie-Antoinette peut-être aussi d’ailleursmais, fort heureusement, elle n’eut pas à y dormir. En effet, pas une reine de France n’a passé la nuit dans ces lieux. Écrasé par le faste, le visiteur ne remarque pas la petite porte dissimulée à la gauche du lit. Recouverte des mêmes tentures que les murs, elle est presque imperceptible. Mais si l’on pousse cette petite porte, on pénètre dans une série de pièces miniatures où là, enfin, apparaît l’intimité de la reine Marie-Antoinette, la dernière à avoir profité de l’endroit. C'est à Marie Leczinska, la femme de Louis XV, qu’elle le doit. Marie-Thérèse, qui vécut peu à Versailles, n’eut à sa disposition qu’un oratoire et un boudoir. Les pièces sont d’autant plus émouvantes que les conservateurs ont choisi de les restituer telles que Marie-Antoinette les a laissées.
Le cabinet intérieur, dit cabinet doré, est la pièce majeure des petits appartements de la Reine. L'endroit n’a pas à proprement parler une décoration zen , mais au moins, on y respire : les lignes, dorées bien sûr, y sont épurées, pas de plumes, pas d’angelots débordant de chair, mais çà et là des motifs végétaux sur des murs blancs et un plafond sans décor. Là, je vois enfin l’univers intime de la reine. Des objets montrent son quotidien : quelques chaises, mais pas trop, pour recevoir quelques compagnes, confortables, une horloge, pour ne pas oublier, dans la douce atmosphère desbavardages féminins, les obligations royales, une cheminée, pour ne pas avoir froid, une harpe, pour se distraire en attendant ses invités, une table, enfin, pour jouer aux cartes, ou poser une tasse de
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