L'amour à Versailles
reines. C'est là qu’ils ont vécu, qu’ils ont aimé, vraiment. Il faut avoir vu la salle à manger des Retours de chasse pour comprendre que les parties fines de Louis XV, que l’on taxe grossièrement d’orgies, devaient être raffinées : dans cette pièce aux volumes gracieux, aériens, avec des lustres hauts pour donner plus de légèreté à la pièce dont les murs sont blancs et dorés, ornés de petits tableaux de maîtres représentant des scènes champêtres, on a envie de flirter, de folâtrer, non de se livrer à des prises salaces ou scabreuses. Il faut avoir vu le salon de jeux de Louis XVI, les tables de trictrac ou de billard où il passait l’ennui de ses royales soirées, petit, encaissé, étrangement moderne, pour comprendre que l’homme, tout roi qu’il était, était un bourgeois qui aimait, dit-on, le café froid et le confort.
Louis XIV ne se sert que rarement des petits appartements, ou alors pour y entasser sa collection de curiosités qui forçait l’admiration des visiteurs et dont nous n’avons malheureusement rien conservé, ou si peu, ainsi que des tableaux, dont la pièce maîtresse, La Joconde . Au coeur de l’intimité de ce roi toujours en représentation qui ne pensait qu’à éblouir, il y a une femme au sourire maternel. Seuls quelques artistes et savants y furent admis : dans le jardin secret du roi, il y a les arts et une femme. Quand Louis XV prend possession des lieux, il y fait aménager une chambre, car celle de son aïeul est trop malcommode : le roi sensuel aime son aise, son lit est recouvert des draps les plus doux et des coussins les plus moelleux. Ajoutons que le lit est suffisamment grand pour coucher toute une famille, ou une armada de beautés, et le baldaquin suffisamment haut pour permettre pléthore d’acrobaties. Le tout est savamment protégé par des tissus volumineux, propres à étouffer les bruits et à empêcher tout regard importun. La chambre de Louis XV est une alcôve pour la jouissance. Non loin se trouve le cabinet intérieur : dans ce dernier, un meuble me semble particulièrement révélateur, le secrétaire dont un mécanisme permet, en donnant un seul quart de tour de clef, de libérer ou de bloquer à la fois l’abattant du cylindre et tous les tiroirs. Des pans de bois retombentsur le meuble si bien que, le roi aurait-il l’idée de dissimuler une fille sous le secrétaire, histoire de ne pas manquer d’inspiration en rédigeant une correspondance secrète, personne ne s’en apercevrait. Toutes les pièces ont des rideaux. Louis XV aime les cachotteries : s’il n’est plus là, son intérieur nous le raconte. Parmi ses multiples passions, la plus avouable est celle du soin du corps : il multiplie les salles de bain. La septième est la plus impressionnante : sur les murs, que des filles nues, sous la forme de délicieuses nymphes de bois sculpté, un grand miroir… et deux baignoires! Certes, l’heure est à la propreté et à l’hygiène, mais je parierais cher que les deux baignoires étaient plus là pour accueillir quelques naïades que pour permettre au roi de se rincer à l’eau claire.
Il fait aménager une multitude de petits cabinets, sur quatre niveaux, autour de la cour des Cerfs et dans les combles, à l’organisation farfelue, sans autre utilité que d’installer un dédale inaccessible aux courtisans, d’offrir des recoins pour trousser les filles, les perdre, les poursuivre ou les cacher. L'endroit est à l’image de son esprit, secret, tortueux, voluptueux et sans ordre, un endroit où l’on perd facilement ses repères, et la raison. Aujourd’hui ces pièces sont vides, mais chaque couloir, chaque encoignure de porte semble encore frémir des cris d’amour ou de vertudes filles. Impossible de ne pas penser à la bagatelle lorsqu’on s’y promène : ces couloirs sont pleins de plis et de replis comme la jupe d’une femme, frémissants, suggestifs, et je souhaite à tous les visiteurs de s’y égarer, en bonne compagnie, au moins une fois. En haut d’un grand escalier, une enfilade de pièces, lumineuses : l’endroit où il logea, et aima, Mme du Barry.
Là où son grand-père batifole, Louis XVI bricole. En effet, lorsque, à la mort de Louis XV, Mme du Barry est exilée, Louis XVI donne une partie des appartements à son premier valet de chambre, Thierry de Ville d’Avray, et fait aménager le reste en divers ateliers : là où Louis XV a caressé, il menuise, là où il a lutiné, il
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