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L'amour à Versailles

L'amour à Versailles

Titel: L'amour à Versailles Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Alain Baraton
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pétrit et là où son père a ouvert les portes du plaisir à nombre de demoiselles, il fait installer un laboratoire de serrurerie… Chacun à leur manière, grand-père et petit-fils furent des manuels.
    Les rois ont les moyens de faire le monde à leur image, les petits appartements sont le reflet de leur caractère, de ce qu’ils furent réellement, loin du prestige de leur fonction. Ils étaient pour eux, pour les courtisans qui les fréquentaient, un moyen de fuir le protocole et, à tout coup, un lieu d’amour. Prenez la galerie des Glaces : c’est beau, c’est majestueux, mais il n’y a pas un recoin à l’horizon pour se cacher, le temps d’un baiser ou d’unecaresse. Voilà qui n’est guère adéquat, vu le nombre de bals et de réceptions donnés dans la galerie. Aussi un bon courtisan, et un bon amant, sait-il qu’à chaque extrémité se trouve, derrière le laquais qui la surveille, une petite porte, discrète, ouvrant sur cent alcôves obscures dont on pourrait croire qu’elles ont été conçues juste pour l’amour, pour permettre aux couples d’un soir de convoler tranquillement, quitte à retourner, une fois le désir assouvi, à la soirée, à la recherche de nouveaux plaisirs. Et pour ceux qui ne connaissent pas la combine, qui n’ont pas les moyens de soudoyer le gardien ou qui sont simplement d’humeur bucolique, les bosquets du jardin feront l’affaire.
    Je m’y rendais de temps en temps, le lundi, jour de fermeture du château quand je voulais, jeune divorcé, jouer à « Chéri, fais-moi peur » avec quelque coquette conquête, et je suis bien persuadé qu’il en était de même du temps de Louis XIV ou de Louis XV. L'endroit est délicieusement mal éclairé : aujourd’hui les couples en veine d’aventures s’illuminent avec leur téléphone portable, moi je me servais d’un briquet et, à l’époque des rois et des reines, il devait s’agir d’une chandelle. On passe devant, on fait l’homme, les voix résonnent. Le couloir est si étroit qu’il faut se déplacer en file indienne. On raconte que c’est Mme de Montespan qui le voulait ainsi : à l’époque desrobes à paniers, une seule femme pouvait à peine marcher de front. Dans une odeur d’essence, de cire ou de plus rien du tout, l’on descend des escaliers en colimaçon, si irréguliers qu’il faut, bien sûr, se saisir de la main de la belle pour qu’elle ne trébuche pas. La main, d’hier ou d’aujourd’hui, est moite, de peur et de repentir déjà : la demoiselle se dit qu’elle est prise au piège, seule dans le noir avec un homme, et n’aura que ses yeux pour pleurer s’il lui arrive quelque chose : autant s’abandonner, étant donné que de toute façon, en venant ici elle a déjà consenti. C'est le moment de choisir : soit vous êtes féroce et vous conduisez la belle toujours plus profond jusqu’à ce qu’elle vous supplie de la prendre dans ses bras, soit vous obliquez sur la gauche, pour tomber… dans une chambre, fraîche, qui ne contient qu’un chaste banc. Il ne tient qu’à vous par la suite de savoir utiliser la pénombre.

Chapitre 11
    Intermède mouvementé
    A la mort de Louis XIV, Versailles tombe en désuétude. La Cour, à Paris, batifole et profite des beaux temps de la Régence. Les bosquets géométriques de Le Nôtre deviennent hirsutes, les buis jadis taillés strictement sont échevelés, l’eau gèle dans les fontaines, les gondoles de la Petite Venise se balancent à l’abandon sur le canal couvert d’algues, tandis que le vent s’engouffre dans la galerie des Glaces. Le château s’endort et le jardin, hier encore agité du bruit des courtisans, des fêtes et des pleurs dus à la mort du roi, devient tout à coup silencieux.
    Pour payer ses fêtes, à Paris, le Régent décide de couper dans les crédits affectés à l’entretien des domaines de celui dont il est censé faire l’éducation, Louis XV, qui n’a alors que cinq ans. Des mille deux cents gardes du corps et quatre cents jardiniers affectés à Marly, Versailles et Trianon, Philippe d’Orléans ne conserve que six Suisses à lagarde des portes du domaine, avec douze jardiniers. Tous les matelots du canal sont congédiés comme « gens inutiles ». Reste donc une vingtaine d'âmes, pour veiller sur la belle endormie. C'est peu, et je ne doute pas que ce fut l’occasion non seulement pour les gardes, mais aussi pour le tout-venant de prendre un peu de bon temps, d’autant plus que sous la

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