L'amour à Versailles
Chez mon fils et chez ses maîtresses, tout va tambour battant et sans la moindre galanterie. (…) Il couche avec toutes les femmes. Il n’est pas difficile à cet égard : pourvu qu’elles boivent et mangent beaucoup, il s’inquiète peu de leur figure. » Les libertins n’ont honte de rien et s’amusent de tout. Le mari partant en voyage s’amuse à offrir à sa femme un godemiché gigantesque, pour le cas où il lui manquerait, malgré ses amants. Un autre encourage son épouse à avoir des liaisons pour « vivre comme les femmes de son âge », un troisième recommande de prendre pour coquin le voisin, moins voyant qu’un laquais ou un prince. C'est le règne de la luxure : le Régent ne sera jamais roi, mais il est le maître incontesté de la pornographie, avec tout ce qu’elle draine de tristesse et de vulgarité. Même son valet Ibagnet n’osel’accompagner dans ce que l’on appelle alors des « parties fines » et qui n’ont de fines que le nom. Il préfère rester à la porte.
Versailles n’échappe pas à l’air du temps. Longtemps épargnés, les jardins deviennent le lieu de toutes les rencontres louches, de tous les commerces graveleux. Le parc se transforme en une sorte de bois de Boulogne des Lumières. On y croise des prostituées par wagons, des libertins par dizaines. Les bosquets sentent le foutre et les fontaines ne débordent pas que d’eau. Autour des bassins, sur les pelouses, ils se réunissent, et ce n’est pas pour jouer aux dés. Les dames de la noblesse ne sont pas de reste : point n’est besoin d’être de la profession pour faire la courtisane. On a l’esprit large, les bénévoles sont les bienvenues.
L'une d’elles, la duchesse de Retz, est une habituée des jardins. Ajoutant un nouveau titre à ses quartiers de noblesse, elle se fait appeler « Madame de fiche-le-moi », allusion entre autres, à la femme du tuteur de Louis XV, le maréchal de Villeroy. « Madame de fiche-le-moi » est une sacrée « Marie-couche-toi-là » qui clame haut et fort que sa vertu à elle, c’est le vice. Elle est aussi fort jolie et entend bien en profiter et en faire profiter tout un chacun. C'est ainsi qu’à Versailles, on la croise, nue, déambulant dans les jardins, ne cueillant pas même une feuille de vigne ou une marguerite pour dissimulerson bosquet. C'est un appel au viol, et c’est exactement ce qu’elle veut. Rivalisant avec les statues, elle joue la nymphe et prend la pose parmi les marbres. Parfois encore la nymphe nymphomane appelle au secours, demande qu’on vienne la délivrer alors qu’elle attend sur un lit de charmilles, cachée dans un bosquet, qu’un « noble seigneur » lui fasse tâter de son épée. Et bien sûr, si c’est tout un régiment de muscadins qui vole à son aide, c’est encore mieux. Sur le nombre, la duchesse jouit même des faveurs du roi qui est alors à peine adolescent. Le petit, ne sachant comment s’y prendre, effrayé par une telle furie, aurait tenté de s’échapper. Elle le séquestre dans un buisson, lui dévoile l’origine du monde selon sa physionomie et en pleine frénésie aurait même « porté ses mains sur lui, et dans des endroits très cachés ».
Son mari s’en offusque. Il tente, entre deux pâmoisons, de la raisonner, lui disant : « Mais ne te promène donc pas toute nue ! » Elle rétorque qu’il en va de sa santé et de celle de leur couple, puisqu'à moins d’être caressée au minimum huit fois dans la journée, elle a des migraines, ne parvient pas à dormir et se fait acariâtre. Il baisse les bras, elle ouvre les siens et continue de plus belle. Il faut un cardinal pour mettre un terme à ses agissements. La duchesse dévergondée est conduite au couvent.
Louis XV vient de plus en plus souvent à Versailles mais l’activité des jardins ne cesse pas. Aucontraire, à présent, c’est lui qui mène la danse. Il est fort jeune, et déjà fort beau. Il est encore très polisson. Au début, ce sont des blagues de potache : le roi « avec toute sa jeunesse » pénètre chez la maréchale d’Estrées, une déjà vieille dame de quarante ans, en criant « Au feu ! », comme le raconte le duc de Luynes. Avec le temps, les bons tours deviennent plus grivois et bientôt les orgies de la Régence sont transportées au château : le roi se couche à 6 heures du matin et ne s’éveille qu'à 4 heures de l’après-midi pour festoyer avec ses amis et l’armada de jeunes femmes souhaitant le séduire. Louis
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