L'amour à Versailles
êtes sur la voie du salut », ou bien un lettré écrivant à califourchon sur sa belle, sobrement commenté : « l’auteur remplit son sujet ». J’aime ces livres : ils sont grivois sans être graveleux. Ils ne seprennent pas au sérieux. C'est ce qui, à mon avis, fait défaut à la pornographie d’aujourd’hui, triste parce que sans humour. Un de mes préférés est L'École des filles . Il date de 1659 : à l’époque de Mme de Pompadour il est déjà fort éprouvé et il est fort probable qu’elle l’ait eu entre les mains. Peut-être le tiendrait-elle de sa mère, puisque celle-ci était de tempérament déluré et que le livre a pour sujet l’initiation d’une jeune fille, Fanchon, en passe de se trouver confrontée aux assiduités du bien nommé M. Robinet. L'initiatrice, Suzanne, fait preuve d’une jolie verve littéraire. En voici un extrait :
« Cet engin donc avec quoi les garçons pissent s’appelle un vit , et quelquefois il s’entend par le membre , le manche , le nerf , le dard et la lance d’amour , et quand un garçon est nu, on voit qui lui pend au bas du ventre comme une longue tette de vache, à l’endroit où nous n’avons qu’un trou pour pisser. »
J’aimerais bien que nous ayons autant de vocabulaire aujourd’hui ! La pornographie en serait plus instructive. J’imagine aisément Jeanne faisant sa Suzanne, elle dont on disait qu’elle était une actrice remarquable, tandis qu’une jeune novice débauchée pour l’occasion lui donne la réplique, ouvre grand la bouche quand Jeanne/Suzanne évoque ce « gros bigarreau rouge » par lequel elle va êtreenfilée, chevauchée ou simplement besognée. En guise d’auditeur, Louis XV, dont le caractère mélancolique avait sans cesse besoin d’être égayé, reposant sur le meuble répondant au nom évocateur de bergère et dont le dossier permet, au choix, de s’assoupir ou d’avoir les mains libres, c’est-à-dire occupées.
Cet inventaire érotique ne serait pas complet sans deux créations majeures qui ne tiendraient pas dans des malles, mais qui sont associées à Mme de Pompadour. La première est la « chaise volante ». Elle n’est malheureusement plus visible aujourd’hui à Versailles : toutefois les guides bégueules s’évertuent à l’évoquer comme l’« ancêtre de l’ascenseur ». S'il est vrai qu’elle permettait de monter les étages sans emprunter les escaliers, sa destination était le septième ciel : Louis XV la fit aménager pour s’éclipser discrètement des grands appartements aux petits où il allait rejoindre pour une étreinte furtive, d’abord Mme de Châteauroux, puis Mme de Pompadour, puis celle avec qui il voulait partager un moment d’intimité et que l’on reconnaissait, le lendemain, à sa démarche pénible, tout son être semblant clamer, telle Mme de Mailly après sa première entrevue avec le roi : « Voyez, de grâce, comme ce paillard m’a accommodée. »
La seconde tient encore du génie polisson de Louis XV : en matière de gaudriole, le souverainn’était jamais en manque ni de fantaisie, ni de ferveur. Au Petit Trianon, conçu pour Mme de Pompadour, le roi avait pour projet de faire bâtir au premier étage des « tables volantes » permettant de faire le service sans déranger les convives. Là encore, les commentaires des guides sont des plus amusants : ils enseignent doctement aux visiteurs que les chaises volantes participent de l’art de la table ! C'est raffiné, certes, mais la raison n’en est sûrement pas l’étiquette : ce ne sont pas les invités qui ne devaient pas voir les serviteurs, mais ces derniers qui ne devaient pas assister aux orgies qui se déroulaient pendant les soupers. Louis XV était un cachottier et un craintif qui redoutait les espions et les mauvaises langues, quand elles n’étaient pas à son service. A cette époque, il est déjà détesté du peuple. Si un serviteur avait raconté ce qu’il avait vu, c’était la fin du maigre respect dont le roi jouissait encore. Je ne crois pas que Mme de Pompadour aurait aimé une telle supercherie : ce n’était pas une débauchée, mais une femme de l’intimité, à deux, à trois maximum, et encore fallait-il qu’elle se sache la préférée. Elle le resta longtemps dans le coeur du roi.
Chapitre 14
Le Parc aux Cerfs
Sous Louis XIV, les lauriers ont été coupés. Mais, et c’est mon expérience qui parle, ces plantes ont la vie dure. Sous la Régence, elles bourgeonnent,
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