L'amour à Versailles
de France se contentait de pantalons, de négligés, de corsets, de chemises en lin ou en futaine, et portait même des bonnets et des coiffes de nuit au nom austère de « respectueuses » : rien que du sage et du bourgeois. Il est vrai que toute marquise qu’elle fût, Jeanne était une roturière et que rien n’est si révélateur que les sous-vêtements : de même que les allumeuses les plus incendiaires portent le plus souvent de simples culottes en coton, prêtes à être déchirées, tandis que l’honnête ménagère de moins de cinquanteans se pare volontiers des dessous les plus audacieux pour réveiller l’ardeur de son époux, sous la favorite lascive et délurée se cache la fille du fermier général, cherchant le confort et la qualité avant tout. Il est aussi possible qu’elle n’ait pas souhaité léguer à l’histoire (en l’occurrence les femmes de chambres qui héritèrent des malles) une lingerie trop « efficace ». De toute façon Louis XV était assez vicieux pour y trouver un charme supplémentaire : une dame cultivée, froide, vêtue de dessous de bon goût, faisant tout ce qu’il veut, le scénario est excitant. Ces sous-vêtements « classiques », « bourgeois », n’ont rien de comparable avec les lingeries affriolantes que l’on vend, aujourd’hui, sous le nom de Pompadour : guêpière modèle Pompadour, bustier Pompadour, on trouve de tout, même des strings Pompadour ! Pour une femme qui n’a vraisemblablement jamais porté de culotte hormis pour faire du cheval, et qui mettait des bonnets de nuit et des « respectueuses », une telle postérité est assez amusante.
Je pense aussi aux tableaux de Boucher qui l’a si souvent peinte, et plus particulièrement à celui où elle a posé un livre sur sa robe à l’endroit de son sexe et regarde vers la gauche, avec un petit sourire. Avec ses cheveux poudrés, ses rangées de perles, ses bras potelés, les multiples noeuds s’échappant du torrent de sa robe et ses cheveuxrelevés dans un chignon gris, elle a tout d’une bourgeoise versaillaise, une dame « comme il faut » qui cherche à être élégante plutôt qu'à séduire et ne déteste rien comme la vulgarité. Un observateur plus coquin imaginera aisément que le contenu du livre n’a rien de pudique, qu’il appartient au genre que l’on range derrière les missels et que le rosissement des joues de la marquise ne provient pas du vermillon mais de la lecture, de la Philosophie des dames ou de Thérèse philosophe .
Plus étonnant, l’inventaire évoque une garniture de bidet en maroquin rouge ainsi qu’une garniture de chaise percée en « piqûre de Marseille » : aussi étrange que cela puisse sembler, à Versailles, ce fut une révolution. Mme de Pompadour fut la première à réclamer un objet qui, à l’époque, avait une très mauvaise réputation. Le terme est si licencieux que dans les livres, même dans les ouvrages libertins, il est censuré, évoqué par son initiale, quand « foutre » est écrit en toutes lettres ou tout au plus adouci d’une italique. L'objet défendu ne fut pourtant pas commandé par concupiscence mais plutôt par souci d’hygiène. En effet, après le siècle de Louis XIV où l’eau était considérée comme dangereuse, porteuse de toutes les maladies et de tous les vices, les années 1750 mettent à la mode les vertus du bain. Dans les petits appartements, Louis XV fit bâtir une salle de bain confortable,chauffée, avec deux baignoires, l’une pour se savonner et l’autre pour se rincer. La Pompadour quant à elle passait des heures à s’apprêter, d’abord mijotant dans une baignoire recouverte d’un équipage, long drap brodé destiné à éviter le contact du corps avec la baignoire, parfois s’enivrant d’un « bain de modestie », le premier bain moussant, tandis qu’une de ses femmes de chambre passait sur elle la toilette, à l’origine un tissu servant à se laver, puis se faisait coiffer, poudrer sa perruque de farine – dont là-bas, à Paris, le peuple manquait pour faire son pain –, maquiller de céruse et de rouge disposés dans les délicieux petits pots miniatures de Mlle Martin, avant de décider si elle opterait pour la « majestueuse », la mouche placée sur le front, ou la « galante », décorant la joue. La coquette n’omettait ni les parfums, comme l’eau de Hongrie, ni les poudres parfumées, d’iris ou d’oeillet. Sa toilette pouvait durer si longtemps qu’elle y conviait ses
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