L'amour à Versailles
premières visites de la matinée : autour d’elle coiffeurs et habilleuses caquetaient tandis que ses amies lui rapportaient les dernières rumeurs. On se pressait à sa porte, comme au théâtre, il y avait du monde jusqu’au bas de son petit escalier. A croire le comte d’Argenson :
« La toilette de cette dame est une espèce de grande Cérémonie, on la compare au fameuxdéculotté du cardinal de Fleury. (…) Les soirs, tous les grands y accourent pour se montrer. »
Lorsqu’elle était en voyage, elle n’oubliait jamais son nécessaire, un petit coffret de bois précieux, contenant houppette, pince à épiler, cure-oreille ou encore une brosse à dents en argent. Elle en était si passionnée que ses détracteurs imaginèrent de lui offrir un nécessaire piégé, contenant en fait de fards et de produits de beauté, des explosifs !
Certaines des malles ont disparu : qu’il ait été perdu ou seulement vendu, le contenu devait en être précieux. Il existe un enfer des bibliothèques, pourquoi n’y aurait-il pas un enfer des malles Pompadour ? Voici l’occasion d’un inventaire érotique, parfois fantaisiste, mais toujours réaliste des accessoires de l’époque. Dans les malles perdues, on aurait pu trouver, sur le dessus, quelques hyacinthes séchées, les fleurs préférées de Mme de Pompadour, dont l’origine est une histoire d’amour, celle du beau Hyacinthe, aimé d’Apollon et de Zéphyr et qui connut une fin tragique. Il n’est pas impossible que la fleur séchée se trouve dans un livre, en guise de marque-page ou destinée à quelque herbier, mis à la mode par Rousseau. La botanique est alors étroitement liée au sexe : ainsi un jardinier averti sait qu’« effeuiller la rose » signifie lécher le sexe de sa partenaire et que les roses sans épines sont les seins d’une femme.
A côté peut-être, un autre divertissement du temps, une lanterne magique faisant apparaître par l’oeil-de-chat les transparents de Carmontelle ou l’ancêtre des fantasmagories de Robertson, ou encore, de manière plus réaliste au vu des moeurs de Louis XV, une scène salace où il est plus question d’exciter que de faire peur. Bien emballé dans une étoffe soyeuse, un godemiché de cèdre ou d’ivoire, pour réchauffer les longues soirées d’hiver quand le roi est à la chasse. L'objet est vieux comme le monde mais, au XVIII e siècle, il connaît un grand succès. Le temps est à l’amour autant qu’à l’humour. Le libertinage devient érotique et les romans ne craignent plus d’y faire allusion. Je sais qu’il en existe quelques rutilants spécimens dans les sous-sols des plus grands musées, dont un cocasse : l’extrémité en est biseautée, laissant apparaître sur la tranche le visage d’un homme qui n’est autre que le légitime de celle à qui il fut offert. Sous le noble ustensile, un des petits piluliers de porcelaine que Jeanne affectionnait tant : il s’ouvre et, sous les remèdes, pour faire passer les pilules que la Pompadour, de santé fragile, suçotait frénétiquement, une miniature coquine représentant, sur une face, une femme nue les jambes ouvertes et sur l’autre un membre ayant de quoi en revigorer plus d’une : un sommet dans l’art de la perspective. Bien pliés, des éventailsattendent la chaleur pour rafraîchir quelques belles et échauder leurs amants, car lorsqu’on les ouvre, ils dévoilent les courbes exquises d’une marquise peu pudibonde. Pêle-mêle une chaussure compliquée, au cas où Louis XV serait d’humeur fétichiste, quelques rubans et mouchoirs à aller chercher dans un corsage ou des « bijoux de religieuses », ces pénis postiches devant leur nom aux centaines de commandes passées, disait-on, par des couvents.
Et tout le reste est littérature puisque ce sont des livres, bien enfouis, qui tapissent la malle aux trésors intimes. Jeanne est une intellectuelle et je suis prêt à gager que quelques bonnes pages l’animaient davantage que le plus mignon des pages de la Cour. Elle n’était pas la seule : l’époque est truffée de littérature galante à destination des dames, au moins, car les textes interdits sont agrémentés de quelques dessins explicatifs qui ne devaient pas déplaire aux messieurs sans imagination. Comme les textes, les gravures ne manquent ni d’érotisme ni d’esprit. On voit par exemple un jeune garçon plongé dans les jupons relevés d’une religieuse, avec pour légende « continuez, vous
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