L'amour à Versailles
mais pas partout, sous Louis XV, elles sont en fleur ! Le roi est de la bagatelle comme d’un tombereau. Il est vrai qu’il est quasiment tombé dedans quand il était petit, vu les moeurs de la Régence. Ne nous y trompons pas, même si Louis XIV ne craignait pas d’officialiser sa relation avec une femme mariée, son attitude n’avait rien à voir avec celle de Louis XV : Louis XIV aimait la séduction, son arrière-petit-fils le sexe. Il en veut, il lui en faut, il n’en a jamais assez comme un gamin des sucreries, et comme il est le roi, il peut en avoir toujours plus. Les favorites, les filles de la Cour, les suivantes de celles-ci, les paysannes des alentours, les marchandes de passage, les fleuristes, les crémières, les couturières, toutes les bénévoles ne lui suffisant pas, il fait appel à des professionnelles.Le roi des dames a par ailleurs, non sans raison puisqu’elle l’emportera, une crainte phobique de la vérole (qui à cette époque fait bien du dégât) : il lui faut de la chair fraîche, la seule dont il peut être sûr qu’elle ne lui collera pas les mortels boutons. Il a bien Lebel, son valet, pour tester les filles, mais il faut encore attendre dix jours, voire trois semaines, avant de savoir si la victime est consommable sans modération. Trois semaines, pour un tempérament comme celui de Louis XV, c’est beaucoup trop long, c’est même intenable. Le valet ne tient pas le rythme de son maître. Idem du côté des favorites, qui n’en peuvent plus des assauts royaux. Les mauvaises langues prétendent même que les langueurs de Mme de Pompadour – elle aurait en réalité souffert de problèmes gynécologiques – seraient dues aux trop nombreuses saillies royales.
Mais la Pompadour, usée, épuisée physiquement, a de la ressource, et des idées. Le roi aime les fraises, il a eu ses fraisiers, le roi aime le miel, il a eu ses ruches, le roi aime les putains, il aura son bordel. Elle qu’on surnommait la « macreuse », en raison de la froideur de son caractère, se fait maquerelle. Elle veille aussi à son propre grain car, en devenant l’intendante des plaisirs royaux, elle s’épargne à la fois la concurrence (tant qu’il se défoule sur des filles de joie, il ne songe pas à remplacersa favorite) et les morpions, fièvres, brûlures et autres chancres peu plaisants. Non loin de l’actuel Potager du roi, sur une terre où jadis on élevait du gibier, est construite une petite maison, discrète, secrète (il existe peu de documents à son propos), un ou deux étages pas plus, dans un quartier pas vraiment mal famé, mais humble, où les chaussées sont boueuses et les rues mal éclairées, idéales pour rester incognito. Le Parc aux Cerfs abrite des jeunes femmes trouvées par le diligent Lebel, à l’occasion secondé par les services de police, toujours prêts à venir en aide aux jeunes filles éplorées. Parfois c’est une mère qui offre sa fille au roi.
Il faut bien voir aussi qu’un roi à l’époque, c’est comme une rock star aujourd’hui. Sa Majesté a une cohorte de fans en délire qui, sans l’avoir jamais vu, lui écrivent des lettres brûlantes d’amour. Si l’une d’elles est plus torride que les autres, le roi fait enquêter. Si la jeune fille promet d’être à la hauteur de ses écrits, si son corps est aussi pur que sa langue est vicieuse, si la famille est large d’esprit, et peu fortunée, la demoiselle a de bonnes chances de rejoindre le cheptel du Parc aux Cerfs. Au besoin, Lebel délègue une femme, en fait une maquerelle, pour expliquer la situation à la famille. Même si sur le fond c’est assez triste, j’imagine une scène plutôt comique : la vieille (les entremetteusessont toujours cacochymes) expliquant doctement les vertus qui seront enseignées à la petite, tout en lui touchant les cheveux, celle-ci, gonflée d’orgueil, suppliant ses parents de la laisser partir, la mère complice, ravie de ne plus devoir s’occuper d’une progéniture encombrante, le père enfin, horrifié, vaguement admiratif et jaloux du roi, puis soulagé à l’idée de ne pas devoir doter sa fille, la grande réconciliation autour de la mansuétude royale et, le soir, le coup de gnôle pour célébrer les milliers de livres de dot gagnés si aisément.
Le roi les réclame de plus en plus jeunes, douze-treize ans, rarement plus. Sa Majesté veut les filles « les plus neuves » possibles. Sachant que l’âge de la puberté était au plus tôt
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