L'amour à Versailles
vers quatorze ans, surtout dans les milieux défavorisés, les jeunes biches du Parc aux Cerfs sont à peine pubères. Faut-il en conclure que Louis XV était ce que nous appellerions un pédophile ? Je ne le crois pas. Ce roi a bien des vices, mais pas celui-là. A mon avis, Louis XV craint par-dessus tout de compromettre, plus que sa réputation, sa santé : il a été très souvent malade dans son enfance. Or, il faut bien dire que pour trouver une fille vierge dans le Paris des rues, mieux vaut la prendre au berceau. En outre, il attend un peu avant de les consommer. Les jeunes filles sont d’abord instruites, soignées et nourries par une Mme Bertrand, une tenancière qui assurel’éducation des petites. Lorsque la jeune pousse a atteint maturité, elle est offerte au roi, puis, une fois qu’il est lassé, dotée et bien mariée, parfois même à quelque membre de la famille royale. S'il y a eu un enfant, il n’est pas reconnu certes, mais attribué à une riche famille. Souvent il s’appelle Louis. La condition de ces filles n’est donc pas si mauvaise.
Lorsqu’elles sont « de service », elles sont amenées le soir, à Versailles, dans une chaise à porteurs, les rideaux tirés. Le roi vient parfois jusqu’à elles, mais c’est rare. Si d’aventure elles ne sont pas de corvée et souhaitent se divertir, elles ont leur loge, grillée, à l’Opéra. Le système, qui dure de 1745 à 1765 environ, est bien rodé. Évidemment la royale débauche fait jaser. On parle d’un véritable harem, avec eunuques et favorites, d’un cheptel de plusieurs milliers de filles, de scènes atroces, d’enfants disparues. La rumeur enfle jusqu’à ce que, en 1750, le roi soit accusé. En fait, les locataires du Parc aux Cerfs sont rarement plus de trois, mais le peuple gronde et des émeutes éclatent à Paris, avec d’autant plus de virulence que le monarque, cédant au parti dévot, a, quelques mois auparavant, décidé de moraliser la capitale, en expulsant vers la Louisiane les filles de mauvaise vie. On accuse Louis XV des disparitions inexpliquées, on raconte qu’il boit le sang des enfants aprèsles avoir violés. La situation est si explosive que le souverain fait construire une route pour aller de Versailles à Compiègne sans passer par Paris.
Parmi ces pensionnaires, Marie-Louise O'Murphy est restée célèbre, ou plutôt son postérieur, immortalisé par Boucher dans L'Odalisque . Sur la toile, fameuse, une petite femme au visage enfantin repose sur le ventre, ses vêtements sous elle, les jambes écartées sur un sofa, offrant à l’oeil de l’admirateur la plus jolie paire de fesses qui soit, dodues, nacrées, mises en lumière par le talent du peintre. Moi, je l’avoue, j’en tiens pour les petites fesses, et cette pomme géante servie sur canapé me rend fou d’art à la minute. Je ne suis pas le seul : quel esthète raffiné, quel touriste fatigué n’a pas ouvert des yeux tout ronds devant le postérieur de Marie-Louise ? A l’époque déjà, ce cul fameux, qui aspirait à passer à la postérité, émerveillait les plus fins connaisseurs, dont Casanova, qui raconte dans ses mémoires à propos du tableau de Boucher :
« L'habile artiste avait dessiné ses jambes et ses cuisses de façon que l’oeil ne pouvait pas désirer de voir davantage. J’y ai fait écrire dessous : O-Morphi , mot qui n’est pas homérique, mais qui n’est pas moins grec. Il signifie Belle. »
L'habile séducteur de Venise a des lettres. Je me suis renseigné : morphé en grec désigne la belleapparence, et il est vrai que la jeune femme, qui n’a rien de grec à part ses jolies formes, est d’origine étrangère. On lui prête un père irlandais, Daniel O'Murphy de Boisfaily, un militaire entré au service du roi de France. A quatorze ans, après deux ans d’éducation au Parc aux Cerfs, elle devient la maîtresse-enfant du roi. Casanova n’est pas le seul adorateur de Mademoiselle O'Murphy : des chansons populaires vantent un charmant appendice appartenant à une Cécile, qui n’est pas sans évoquer les rondeurs de Marie-Louise :
Si la déesse des amours
Voulait obtenir notre hommage,
De ma Cécile pour toujours,
Elle emprunterait le visage;
Si parfaits que soient les appas,
Que lui donne un crayon habile,
Son cul si vanté ne vaut pas,
Le joli cul de ma Cécile.
Objet charmant et précieux,
Cécile, garde-toi de croire,
Qu’un jour ce cul délicieux
S'effacera de ma mémoire;
Mais
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