L'amour à Versailles
janvier, alors qu’il quitte Versailles pour Trianon, au pied de l’escalier extérieur de la salle des gardes, où l’attend un carrosse, le roi est attaqué par un dénommé Damiens. L'agresseur parvient à tromper la vigilance des gardes, des écuyers, du duc d’Ayen, du Dauphin et du capitaine des Suisses qui entourent le monarque, bouscule la compagnie, se faufile et vient frapper, par derrière, la côte royale, à gauche, non loin ducoeur… avec un canif! Le roi s’exclame : « Je suis blessé ! », tandis que la garde part à la poursuite du scélérat.
Le souverain se croit déjà aux portes de l’enfer et demande l’extrême onction pour un coup de canif, certes enfoncé profondément, mais qui a, en réalité, à peine traversé ses vêtements ! La nouvelle se répand que le roi a été assassiné. Certains s’en réjouissent, tous en sont persuadés, à commencer par Louis XV et Mme de Pompadour. Autour du roi, c’est la veillée funèbre, avec flambeaux, larmes et courtisans effondrés. Il faut tout le bon sens de M. de Landsmath, militaire aguerri, pour ramener le faux moribond à la raison. Leur dialogue, rapporté par Mme Campan, ne manque pas de sel :
« Allons, votre blessure n’est rien; vous aviez force vestes et gilets. Voyez (il montre ses cicatrices), voilà ce qui compte. Il y a trente ans que j’ai reçu ces blessures. Allons, toussez fort, et moquez-vous de cela, dans quelques jours, nous forcerons un cerf. »
Le roi obtempère, toussote faiblement, puis demande, blême :
« Mais si le fer est empoisonné ?
— Vieux conte que tout cela, si la chose était possible, la veste et les gilets auraient nettoyé le fer de quelques mauvaises drogues. »
Louis XV est apaisé, et passe une bonne nuit. Pourtant, la convalescence dure plusieurs semaines, pendant laquelle le roi se met en scène, las, livide et abattu, donnant audience en bonnet de nuit, robe de chambre et canne. La vérité est que la blessure d’orgueil est sans doute plus profonde que celle causée par le coup de canif et ne se refermera qu’une fois Damiens châtié. Le doux fruit de la vengeance est savouré en mars de la même année. Damiens est dépouillé de ses vêtements et attaché cinquante-sept jours durant sur une paillasse métallique et blessante. Le matin de son exécution, son torse est tenaillé à la pince rougie au feu, il a la main brûlée avec du plomb fondu, puis il est écartelé pendant plus de cinq heures, tant il est fort. A la fin, même les bourreaux ont pitié et demandent la permission d’abréger les souffrances du malheureux par un bon coup de tranchoir aux jointures. La requête est refusée. Les femmes présentes à la torture crient, admirent et demandent toujours plus de supplices. Le monarque, réclamant par la suite le récit détaillé des sévices, s’exclame alors, laconique : « Oh, les vilaines ! »
Sa colère est apaisée, mais le roi est durablement marqué par l’événement. Même si, autour de lui, la sécurité est renforcée, il connaît de fréquents moments d’abattement, car il est une chosedont aucun garde du corps ne peut le prémunir : la vieillesse et la mort qui l’accompagne. Plus le temps passe, plus Louis XV tourne son esprit morbide contre lui-même. Il a alors quarante-sept ans, un âge où, à l’époque, on est sûr d’entrevoir quelle sera la cause du trépas. La jeunesse et la santé de Mme du Barry ne seront bientôt plus suffisantes pour le préserver de la tombe. Pour Louis XV, le visage que la mort prendra ne fait aucun doute : il périra par où il a péché, la vérole, la grande, celle qui a précipité le décès de François I er et de Charles Quint. Il attend, pétri d’angoisse, qu’elle vienne le chercher.
L'ironie de l’histoire veut que ce ne soit pas la grande, mais la petite vérole qui vienne le trouver, un soir d’avril 1774. De retour de la chasse, il croise un convoi funéraire, et friand de cadavres comme seules peuvent l’être les personnes morbides ou très vieilles, il s’approche du cercueil : à l’intérieur se trouve une jeune fille d’à peine dix-huit ans, morte de la vérole. Contrairement à sa grande soeur, la petite vérole ne se transmet pas par voie sexuelle, mais aérienne. Le roi, regarde, respire, puis soupire : il vient de voir son ange exterminateur.
Quelques jours plus tard, les premiers symptômes se déclarent, comme le note le duc des Cars :
« Étant au Petit Trianon, après avoir
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