L'amour à Versailles
trop savoir ce que l’on a fait, et chacun quitte sa chacune en lui faisant promettre le silence.
Mais, de ce tendre désordre, les esprits les plus échauffés, ou les plus organisés, se lassent vite. Du Barry invite alors une société davantage choisie, non sur ses titres, mais sur ses capacités. L'ancienne Mlle Lange connaît nombre de « filles du monde », c’est-à-dire des prostituées, et, depuis qu’elle fréquente la Cour, a rencontré quelques comtesses qui ne manquent pas de métier, bénévolement. La soirée se déroule en comité restreint. Les femmes s’habillent de manière coquine, en négligé, et font admirer leurs talents… sous la table, tandis que les messieurs prennent des paris et tentent de reconnaître les lèvres qui se trouvent entre leurs jambes. Celui quiperd à un gage, dont il ne se plaint guère. Une malicieuse propose un jeu plus à la faveur des dames : une courte paille en nature, où le perdant se retrouve contraint à regarder. Un marquis à la main leste force une coquette à quitter la table : chacun se lève et c’est la course-poursuite.
La compagnie se retrouve aux attiques. Dans les nombreux couloirs et pièces minuscules, on s’attrape, on se chevauche, on s’attache et on s’observe, car l’une des particularités de ces greniers magiques est d’offrir de nombreux recoins munis de glaces et de patères. Je m’amuse de voir aujourd’hui les visiteurs contempler d’un air prude et interloqué, ce qui fut sans doute un peep-show XVIII e . Lorsqu’on est las, on descend à l’étage pour se reposer sur un fauteuil majestueux, tandis que sur le petit tabouret disposé juste en dessous, une jouvencelle tente de vous ranimer. Pour rajouter encore un peu de piment, si c’est possible, vers minuit, Mme du Barry tape dans ses mains, fait sonner les cloches servant à convoquer le personnel et somme la joyeuse troupe de la rejoindre dans le salon. Au centre de la pièce, elle dévoile la surprise réservée au roi : une novice de seize ans, belle à croquer, que le monarque, touché par une si délicate attention, essaye, avant d’en faire profiter toute la compagnie.
Ce domaine de l’amour est plein des secrets de l’époque. Il abrite encore les vestiges des accessoiresdestinés aux plaisirs de Louis XV : tout un réseau de soupiraux relie les différents édifices les uns aux autres, permettant au monarque de quitter la compagnie de sa favorite discrètement pour aller retrouver dans le Pavillon français une belle d’un soir. Après lui avoir fait admirer la majesté de la pièce principale, toute en courbes et en marbres colorés, il lui fait découvrir d’autres beautés souveraines, dans un des petits cabinets qui entourent la rotonde ou dans le réduit si joliment nommé « réchauffoir », à moins qu’il ne la lutine sous les frondaisons des arbres du jardin.
Bien entendu, les documents, sur ces orgies de Trianon, n’ont pas été conservés. Il y a même à parier qu’il n’y en eut jamais. Une soirée toutefois est passée à la postérité. Un beau soir de juin 1770, la marquise de Valentinois propose d’agrémenter le souper par un effeuillage : il fait si chaud ! A chaque plat, les convives abandonnent l’un de leurs vêtements. Il faut savoir qu’à l’époque les dîners peuvent compter plus de cent mets différents si bien qu’on se sert en fonction de ses goûts, sans jamais prendre de tout, et que les toilettes sont aussi complexes que composites. Chacun s’échine à finir en même temps que sa maîtresse. Les messieurs tombent jabots, vestes, justaucorps, gilets à grand boutonnage et bas de soie. Un gourmand impénitent est contraint de se départir de sa perruquepour avoir un dessert et découvre une calvitie ridicule. Les femmes ôtent traînes, paniers, jupons, corsages. A dévoiler les charmes dont les ont dotées la nature, certaines gagnent, d’autres y perdent. Toutes enfin se retrouvent nues. On raconte que ce soir-là, au dernier compotier de cerises, la maîtresse de maison se retrouva en compagnie de sept messieurs, et qu’elle leur fit, à tous, profiter d’un morceau de roi. Le lendemain, tout Versailles fut au courant, et la jeune Dauphine fort choquée, à moins qu’elle eût le regret de ne pas avoir été invitée.
Chapitre 17
Véroles
En 1768, le fidèle Lebel s’éteint, emportant avec lui pléthore de secrets, et laissant Louis XV seul. Je ne sais pas quelle fut la cause de sa mort, toutefois,
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