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L'Amour Et Le Temps

L'Amour Et Le Temps

Titel: L'Amour Et Le Temps Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
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l’avouerez, madame, car enfin tous ici nous appartenons au tiers, et nous ne sommes pas – du moins pas tous – des coquins. »
    Conclusion qui fit bien rire M me  de Reilhac et M me  Dupré. Léonarde, se bornant à sourire, échangea un regard avec son mari. Il n’avait pas saisi les dessous de ces répliques. Quant à M. Dupré, il était simplement agacé par le ton de sa fille.
    Bernard, lui, avait perçu au moins l’ambiguïté de ce dialogue – ambiguïté méprisante, d’un côté, de l’autre adroite, railleuse sans acrimonie. En somme, Mounier montrait avec esprit à M me  Naurissane qu’il ne s’en laissait imposer ni par son autorité ni par sa richesse ni par ses charmes, tout en rendant à ceux-ci l’hommage de la galanterie dont il enveloppait sa riposte. Galanterie d’homme à une jolie femme, jointe à une gentillesse de futur beau-frère.
    Cette nuance-là ne pouvait qu’être odieuse à Bernard. Elle irritait la plaie saignante en lui. Il s’exaspérait de se sentir néanmoins prendre absurdement parti pour son rival contre Thérèse, alors qu’il aurait dû pencher vers elle, d’abord parce qu’étant homme il subissait physiquement son attrait, et parce qu’elle l’avait servi en combattant un projet de mariage dont elle s’était montrée adversaire résolue. Bernard lui en savait gré, mais, sur l’autre plan de ses préoccupations, il éprouvait une certaine défiance envers M me  Naurissane. À tout prendre, elle se rangeait, avec son mari, parmi les privilégiés, sinon de la naissance, du moins de la fortune.
    Son époux, que l’on voyait rarement au village, était l’un des hommes les plus riches de Limoges, en tout cas le plus fastueux. Il avait trouvé dans la bourse paternelle de quoi acheter à vingt-trois ans – si jeune qu’il avait fallu des lettres de dispense – la charge de conseiller du Roi, trésorier particulier, maître de la Monnaie. Charge fructueuse dans laquelle il avait su, au demeurant, par de très réels mérites, accroître d’une façon considérable l’héritage de ses parents. Si bien qu’en atteignant la quarantaine il s’était fait construire, en bordure du boulevard de la Pyramide, dans le quartier nouvellement ouvert sur l’emplacement des remparts démolis, un hôtel d’une exceptionnelle magnificence, à peine moins grand et intérieurement plus somptueux, disait-on, que le palais édifié peu avant, sur les bords de la Vienne, par l’évêque M gr Duplessis d’Argentré. Pas un voyageur de marque, français ou étranger, ne traversait la province sans descendre chez les Naurissane. Ils recevaient l’intendant de la généralité : M gr Meulan d’Ablois, avec toute l’aristocratie locale. Louis Naurissane, du reste, était à présent seigneur de Brignac. Il venait d’acquérir, pour l’énorme somme de deux cent quatre-vingt-dix mille livres, cette baronnie féodale qui ne comprenait pas moins de quinze domaines étendus sur cinq paroisses du Limousin et de la Marche. Il faisait actuellement moderniser le château. En outre, il était propriétaire depuis longtemps d’une grande maison de campagne sur les collines entre lesquelles la Vienne coulait, large et paresseuse, en amont de Limoges. Il possédait aussi des borderies, des bois, des moulins sur l’Aurence, dans la paroisse d’Isle, celle-là même où se trouvait Thias.
    Une telle position en ce monde pouvait évidemment faire oublier à M me  Naurissane que son père y avait débuté par l’état misérable de petit goujat de ferme avant d’entrer dans le commerce comme courtaud de boutique. Certes, il ne devait son ascension décisive qu’à sa volonté, à son courage au travail, à sa probité, à son entente du négoce, mais enfin les origines d’un Mounier, d’un Bernard Delmay lui-même, étaient bien supérieures. Les Mounier avaient pendant des siècles donné des consuls à la ville, des officiers à la milice bourgeoise. Alors pourquoi Thérèse se montrait-elle si acharnée envers Claude ? Jusque-là, elle avait partagé, dans sa vive affection pour sa sœur, le parti pris par celle-ci contre le jeune avocat. Puisque Lise, à présent, s’était rendue, qu’elle acceptait d’un cœur léger ce mariage, son aînée n’avait aucune raison de continuer la guerre. Aucune.
    À moins que !… Une brutale émotion secoua Bernard. S’il se trompait ! Si Lise ne cédait vraiment qu’à l’inévitable, si elle en était réellement

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