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L'Amour Et Le Temps

L'Amour Et Le Temps

Titel: L'Amour Et Le Temps Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
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qu’elle revenait assez souvent coiffer de nouveau pour le souper de cinq heures ou la soirée. Couverte de sa mante matinale, on ne voyait d’elle que le triangle du visage, très clair sous la capuche ombreuse, les yeux hauts et larges dont le blanc, auprès des prunelles vert foncé, entre les franges des cils noirs, avait un éclat de porcelaine, le nez légèrement retroussé avec des narines accusées, mobiles, très expressives. La bouche pulpeuse, rieuse, était encore du rose vif de l’enfance.
    Bernard se remit à la besogne. « Eh bien va, dit-il, va ! Bonne journée, Babet. » Mais elle, se rapprochant du garçon : « Veux-tu que nous nous retrouvions, ce soir ? » Il secoua la tête. – « N’essaie pas de me faire croire que tu n’as pas d’autre rendez-vous. – Eh ! répondit-elle en riant. Qui sait ! Peut-être mes amours à moi aussi ne vont-elles pas. Ou peut-être suis-je capable de te préférer à d’autres. Dis oui, tu verras bien. »
    Il la regarda de nouveau. Ce sourire sur ces lèvres et dans ces yeux était-il tendre ou persifleur ? L’irritant, avec elle, c’est que l’on ne savait jamais au juste ce qu’elle pensait. « Adieu », dit-il sèchement. Il prit à brassée les écheveaux pour les emporter dans la boutique. « Tu as tort, mon miston ! » lui lança Babet, riant toujours. « tu ne sais pas ce que tu perds. »
    Bernard,Léonarde et Jean-Baptiste habitaient non loin de la Vienne, de la cathédrale et du palais épiscopal, au milieu du faubourg Manigne, où se trouvait la mercerie-bonneterie, àlisière de la ville basse, appelée la « Cité ». Dans quelques années, Bernard s’associerait avec son beau-frère. En effet, Jean-Baptiste, veuf sans enfants, remarié à Léonarde, comptait déjà quarante-trois ans ; la fille et le fils qu’il avait eus de cette seconde union étaient encore en très bas âge. Quand il se retirerait des affaires, le garçon serait trop jeune pour assumer seul la charge de la boutique et du magasin. D’abord aide de son beau-frère puis guide de son neveu, Bernard ferait la liaison entre les deux générations. Ce destin tout tracé lui plaisait. Descendant d’une longue lignée de commerçants, il n’avait jamais songé à une autre profession.
    À côté de la mercerie, dans le faubourg grisâtre, serré entre ses façades de torchis croisillonné de bois, tout semblable à ce qu’il était au Moyen Âge, avec son pavage grossier au milieu duquel coulait, les jours de pluie, le ruisseau charriant des détritus, un porche plafonné d’énormes poutres supportant trois étages de logements s’ouvrait entre deux maisons. La place étant rare autrefois dans la ville murée, on construisait en hauteur. Ce porche formait, en fait, l’entrée d’une impasse qui s’élargissait sensiblement après ce goulet. Comme elle n’était fermée dans le fond que par un bâtiment bas, occupé, sous son grenier aux tuiles noircies, par les chevaux et les véhicules d’un voiturier, elle ne manquait pas de lumière ni de quelque gaieté, bien qu’elle fût malpropre et fortement odorante du fumier entassé dans un angle. D’assez grandes plaques d’herbe un peu lépreuses s’étendaient là sur le sol inégal, en légère pente, où s’échelonnaient les seuils des maisons. Une vigne courait sur le crépi crevassé, un rosier fleurissait un autre mur, accompagné de plantes en pots sur les fenêtres. C’était la demeure de Sage, le voiturier. Il logeait là, juste à côté de ses écuries, avec sa pullulante famille. En face s’ouvrait la remise de la boutique Montégut.
    Sage ne comptait pas moins de cinq fils et six filles, parmi lesquelles Babet. Elle avait le même âge que Lise Dupré. Avant de connaître Lise, Bernard avait mainte fois failli céder à l’attrait de cette séduisante voisine, bien qu’il n’ignorât pas combien elle faisait mentir son nom. La sagesse, en effet, était le seul charme dont elle manquât. Peu importait. Avec elle, il ne s’agissait pas d’amour, simplement de plaisir. On pouvait être certain d’en avoir. Mais Bernard redoutait il ne savait quoi d’elle, de sa nature. Aussi lui avait-il toujours préféré des filles moins troublantes, encore que la tentation fût quotidienne, car il n’était guère de jour où ils n’eussent l’occasion de se rencontrer, soit dans l’impasse, soit dans le voisinage, soit ailleurs, en ville. Du reste, depuis que Lise régnait sur

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