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L'Amour Et Le Temps

L'Amour Et Le Temps

Titel: L'Amour Et Le Temps Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
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faubourgs, donnant toute licence à la canaille. De la rue Saint-Denis, du faubourg Saint-Antoine, du quartier Saint-Marceau, des taudis de la Cité et de la place Maubert, honnêtes artisans indignés, vauriens cherchant le pillage, chômeurs en haillons, occupés aux carrières de Montmartre, confluaient, dans le soir tombant, sous les nuées orageuses qui prêtaient à la Seine un éclat de fer-blanc, vers la place de Grève pour réclamer des armes à l’Hôtel de ville. Aucun des magistrats municipaux ne s’y trouvait et n’y venait quoique le tocsin sonnât au campanile. Seuls, quelques membres de l’assemblée des électeurs : le jeune savant Quatremère, le gazetier Carra, Louis de Bonneville, président d’un district, l’ébéniste Mangin, l’horloger Désessarts étaient là, réunis dans une attente et une impuissance anxieuses. Dubon, qui avait passé une partie du jour au lit pour calmer ses douleurs d’entrailles, accourait, bardé de flanelle sous la ceinture de sa culotte. Avant d’entendre le tocsin, il avait été avisé par Gabrielle, revenue en hâte des Tuileries où elle était allée promener leur fille, que l’on se battait à l’entrée du jardin.
    Sur le quai, il fut rejoint par son collègue l’abbé Fauchet, ancien vicaire général de Bourges, interdit pour son gallicanisme : un bel homme, énergique, toujours très informé, comme Bonneville son grand ami. Avec Carra, c’étaient les trois têtes les plus fortes de l’assemblée communale. Depuis deux jours, l’abbé insistait pour que celle-ci constituât un certain nombre de ses membres en comité permanent, afin de parer aux insuffisances et à la mauvaise volonté de l’administration municipale. Tout en se hâtant, il fit en quelques mots à Dubon un tableau exact des événements. Il ajouta :
    « Dans ce moment, des gardes-françaises se portent en nombre sur la place LouisXV. Ils en chasseront les troupes de la Cour, je pense.
    — Bah ! fit le procureur, ce ne sont pas elles que nous avons bien à craindre, il me semble, mais cette écume de brigands sortis tout d’un coup de leurs repaires pour mettre à profit le tumulte. »
    Quand les deux hommes débouchèrent sur la Grève, un sombre essaim, comme une grappe d’abeilles à l’entrée de leur ruche, grouillait devant l’arcade Saint-Jean, au coin de l’Hôtel de ville dont un couchant empourpré sous les nuages bas rougissait la façade et incendiait les fenêtres. De l’autre côté de la place, dans l’ombre que les maisons allongeaient sur le sol, on voyait un autre remuement : attirés par le tocsin, les curieux – cette engeance naissant du pavé en tout lieu où il se passe quelque chose – observaient à distance.
    « Bon Dieu, que ça pue ! » s’exclama Dubon en se forçant un chemin dans le magma. Avec la chaleur et l’excitation, cette foule où dominait la plus haillonneuse populace, dégageait un fumet fauve. Elle encombrait l’arcade, le perron, l’escalier, remplissait la salle Saint-Jean, bousculant les barrières qui délimitaient l’enceinte de l’assemblée communale. Les premiers venus avaient fait main basse sur les piques et les sabres du guet. Les autres réclamaient, menaçants, des fusils et de la poudre. À quoi les électeurs répondaient en vain : « Si nous en avions, nous aurions commencé par nous armer nous-mêmes. »
    Comme Dubon, l’abbé Fauchet et l’avocat Moreau de Saint-Méry, arrivant lui aussi à l’appel de la cloche, pénétraient enfin d’une commune poussée dans la salle, le roulement confus d’une mousqueterie parvint inopinément jusque-là, au milieu des clameurs. De nouveaux cris s’élevèrent sous les fenêtres : « On égorge nos frères ! » Le tocsin se mit à sonner à Notre-Dame. Un gros boucher au mufle rougeaud, verni de sueur, abattant son poing sur le bureau, apostropha l’ébéniste Mangin :
    « Vous entendez, traîtres ! on égorge nos frères !
    — Imbécile ! lui répliqua l’abbé en haussant les épaules. Ce sont les gardes-françaises qui attaquent Besenval sur la place LouisXV. Allez-y donc ramasser les armes des morts. »
    Le mot vola d’écho en écho, et aussitôt la foule commença de s’écouler. Mais, pas plus sur la place LouisXV qu’à l’Hôtel de ville, elle ne trouva de fusils, car les troupes de la Cour, assaillies par quelques compagnies bleues, ne ripostèrent point. Ramassant quatre blessés, elles se replièrent sur les

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