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L'Amour Et Le Temps

L'Amour Et Le Temps

Titel: L'Amour Et Le Temps Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
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pour dettes. Une foule mêlée se ruait au couvent des Lazaristes, n’y trouvait ni fusils ni beaucoup de grain et cédait la place à la pire populace qui brisait tout, baffrait les provisions des pères, s’abreuvait aux futailles de la cave, et s’empoisonnait avec les liquides de l’apothicairerie. Laissant sur place trente morts ou mourants, dont une femme enceinte tuée par une goulée d’alcool à quatre-vingt-dix degrés, les ivrognes affublés de frocs, d’aubes, de chasubles, s’en allaient par les rues, bâton ou sabre et bouteille en main, arrêter les passants courant entre les averses, surtout les femmes, pour les faire trinquer à la santé du Roi. Certains frappaient aux portes des maisons, mendiant du pain, du vin, de l’argent, des armes.
    Toutes ces nouvelles arrivaient à l’Hôtel de ville. Néanmoins Flesselles, comme Louis XVI, n’avait pas encore compris. Pour bien affirmer la fidélité de la Commune au Roi, on avait incorporé les échevins au comité élu, et nommé président leur prévôt. Il en profitait pour faire sournoisement obstacle à la formation de la milice. Elle ne servirait à rien. Comment l’armerait-on ? Il n’existait à Paris ni munitions ni fusils. Juste à ce moment, des employés du bureau municipal avisèrent le comité qu’un bateau de poudres, quittant l’Arsenal, descendait la Seine. On le saisit. Son chargement fut transporté dans les caves et fortement gardé, sous la surveillance d’un des électeurs, un prêtre, comme Fauchet : l’abbé Lefèbvre.
    « Quant aux fusils, dit Ethis de Corny, l’intendant Berthier en a fait venir récemment trente mille de la manufacture de Charleville, je l’ai appris de très bonne source.
    — Si c’est exact, répondit Flesselles, j’ignore où ils peuvent être. L’Arsenal ne contient point d’armes, tout le monde le sait,
    — Ils sont à la Bastille ou bien aux Invalides », cria quelqu’un dans le public.
    Du peuple, de la populace, des curieux encombraient de nouveau, en moins grand nombre que la veille, la salle Saint-Jean. Dubon y reconnut son escogriffe, toujours aussi déguenillé, aussi hâve, aussi bien rasé, toujours le fusil en bandoulière avec la baïonnette au canon. Il s’avança jusqu’à la barrière, le doigt tendu vers Flesselles, et, de son ton tranquille : « Citoyen prévôt, la nation n’a pas confiance en vous. » Hochant la tête avec tristesse, il ajouta : « Vous êtes dans un mauvais cas, citoyen. »
    Malgré l’obstruction sourde de celui-ci, la milice fut constituée. On décida qu’elle porterait pour signe distinctif la cocarde municipale, bleue et rouge, et l’on passa commande de cinquante mille piques à livrer sous trois jours, par mille, à mesure de la fabrication. Ce serait toujours des armes, en attendant mieux.
    Lorsque Dubon rentra chez lui, les bataillons de la première levée commençaient à se former dans les districts. Il déposa son vaste parapluie blanc et dit à Gabrielle accourue avec les enfants :
    — Enfin, ça y est ! Enfin, nous avons accompli quelque chose ! Mais c’est bien tard. Il faudra quatre jours pour que la garde urbaine soit vraiment sur pied.
    — Pourrais-je en faire partie ? demanda Fernand.
    — Tu es bien trop jeune.
    — Trop jeune, trop jeune ! bougonna l’adolescent vexé. On ne sait me dire que cela ! Je suis jeune, il est vrai, mais aux âmes bien nées…
    —  C’est bon, c’est bon, on pensera à créer une flottille de miliciens. On t’en donnera le commandement. En attendant, je mangerai un morceau, s’il y a quelque chose, ma chère amie.
    — Fernand a péché un superbe barbeau, nous t’en avons gardé la moitié.
    — Je ne suis pas trop jeune quand il s’agit de nourrir la famille », marmonna le garçon.
    Dubon rit de grand cœur, et, embrassant son fils : « Sois tranquille, nous ne te ménagerons pas notre reconnaissance, amiral. »
    Dans le quartier, la nuit fut calme, à peine troublée par quelques coups de feu, au loin. Dès la veille, le district, préjugeant les décisions de l’assemblée communale, s’était donné lui-même sa milice. Le corps de garde du Pont-Neuf : petit bâtiment accoté à la pompe, plutôt croulant, et pour cette raison abandonné par le guet, avait été remis à peu près en état. Il abritait un contingent – clercs de procureur, basochiens avec leur vieil habit rouge – commandé par un ancien officier de l’arquebuse qui

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