L'Amour Et Le Temps
de Corny – ci-devant commissaire des guerres en Amérique, ami de La Fayette – dit que Sa Majesté ne pouvait prendre ombrage d’une mesure de sauvegarde exigée par les circonstances. Là-dessus, Carra, avec une audace froide, à la Sieyès, déclara que la Commune possédait ab ovo un droit antérieur à celui de la monarchie. « Lequel droit, poursuivit-il, comprend spécialement celui de se garder elle-même.
— Ah ! s’écria Bonneville. Assez discuté ! Nommez vingt-quatre d’entre nous pour composer le comité permanent, et nous nous passerons de permission.
— À qui donc prêterez-vous serment ? dit Flesselles.
— À l’assemblée des citoyens, répondit sur-le-champ un électeur du district des Cordeliers. »
Le public applaudit bruyamment. Flesselles dut s’incliner : « Je me range à l’opinion du peuple. »
Tandis qu’une violente averse fouettait les fenêtres, on désigna les membres du comité. Dubon fut élu des premiers. Il voulut se récuser. « Vous n’en avez pas le droit », lui dit Bonneville.
L’abbé Fauchet était à Versailles. Parti de bonne heure, par une pluie battante, avec le docteur Guillotin qui était venu samedi apporter à la Commune le projet de déclaration des droits, et qui n’avait pu regagner son poste. Ils allaient presser l’Assemblée nationale d’agir. Les troupes échelonnées tout au long de la route, drapées sous la pluie dans leurs grands manteaux blancs, les laissèrent passer sans obstacle. Après les avoir entendus, l’Assemblée envoya une délégation au château pour demander de nouveau le renvoi des régiments étrangers, et, cette fois, la création d’une milice bourgeoise. Claude faisait partie des quatre-vingts députés conduits par le vieil archevêque de Vienne, président de l’Assemblée. En entendant le Roi répondre rudement : « Paris ne saurait se garder lui-même ; les mesures que j’ai prises seront maintenues », Claude, à peu près au même instant que son beau-frère Dubon, fut soulevé par une vague d’exaspération. Il regardait ce gros roi, certainement honnête, mais stupide, et, se penchant à l’oreille de Robespierre : « C’est bien vrai : quem vult perdere stultum fecit Forluna. Il faut être imbécile pour se laisser persuader que l’on peut tenir tête à tout un peuple conscient de ses droits. Je commence à comprendre Barnave et Desmoulins : seule, une démonstration de la force populaire dissiperait l’aveuglement de ce lourdaud. »
Au retour de la délégation, l’abbé Grégoire, La Fayette prirent la parole. Sous leur impulsion, on vota un ordre du jour par lequel l’Assemblée exprimait son estime et ses regrets aux ministres en disgrâce. Elle déclarait en outre « leurs successeurs et les conseils du Roi, quelque état ou rang qu’ils puissent avoir, responsables des malheurs présents et de tous ceux qui peuvent s’ensuivre ». Repoussant toute idée de banqueroute, on garantit de nouveau, comme au 15 juin, la dette publique. Enfin, on se déclara en permanence. La journée s’était écoulée entre ces phases d’inquiétude, d’attente, de colère, de résolution. Le soir obscurci par le mauvais temps tombait déjà. La Fayette fut nommé vice-président pour suppléer le vieil archevêque, et la séance de nuit commença aussitôt. La verrière au plafond de la salle s’illuminait d’éclairs, le tonnerre grondait à l’est.
L’orage était sur Paris. Une espèce d’orage larvé qui se passait en grosses averses et en bourrasques, pas assez fortes cependant les unes ni les autres pour empêcher les désordres de la rue. Le pillage avait recommencé dès le matin chez les marchands de boissons, dans les boulangeries. L’hôtel du lieutenant de police, Thirioux de Crosne, sur le quai des Orfèvres où il joignait le Palais de justice, était saccagé, lui-même malmené. Sommé par l’assemblée communale de pourvoir aux subsistances, il avait répondu que cela ne le regardait pas. On menaçait de le pendre pour lui faire payer cette réponse, parfaitement juste, au demeurant, mais le peuple affamé ne pouvait le comprendre. Pendant que la bourrasque se déchaînait, fouettant la place LouisXV et ses fossés, arrachant feuilles et branchettes aux arbres des Tuileries, là, au coin de la rue Royale, une troupe d’intrépides ruisselants envahissaient le Garde-Meuble, à la recherche d’armes. Une autre délivrait, à la Force, les détenus
Weitere Kostenlose Bücher