L'année du volcan
couple de Decroix et de la vicomtesse.
— Démon ! cria Nicole, le visage convulsé.
— Voyez comme la perspective d’avoir été flouée la transporte hors d’elle-même. Agirait-elle de la sorte si rien n’avait existé entre elle et Diego Burgos, dont il nous faut maintenant parler ?
Nicolas fit une pause et prit un gobelet d’eau que Bourdeau lui tendit.
— Nul plus que lui ne connaissait le dessous des cartes. Il bénéficie et use de la confiance de son maître. Dès le début de l’enquête, il s’évertue à multiplier les fausses voies, aidé en cela par les dispositions contradictoires du reste des suspects. Sans doute a-t-il traversé les secrets du vicomte de Trabard, en particulier les malversations auxquelles il se livrait. Sans doute aussi a-t-il découvert la cachette secrète du box de Bucéphale, cette mangeoire à tirette. Il est au fait de tout ce qui lui paraît assez singulier pour mériter sa curiosité. Dans cette âme de boue tout est prétexte et argument pour parfaire un dessein criminel. Il manie adroitement tous les ressorts qui lui semblent être utiles.
— La fuite signifie-t-elle qu’il est coupable du meurtre de son maître ? demanda Sartine.
— C’est dire en tout cas qu’il y a participé. S’il s’est enfui, je suppose que, l’enquête avançant, d’autres ont estimé qu’il était temps de déplacer les soupçons, avec pour conséquence obligée de redoubler les accusations contre Burgos en plaçant des fioles dans sa chambre.
— Mais enfin, monsieur le commissaire ! s’écria Sartine. On n’imagine pas un assassin se désigner ainsi à ses accusateurs. Que pouvait-il espérer ?
— Mais disparaître. S’embarquer à Nantes, à Rochefort ou à Bordeaux. Ainsi il innocentait ses complices. En attendant peut-être qu’ils le rejoignent.
— Ses complices ? Vous voulez dire…
— Je veux dire que dans cette affaire chacun des acteurs avait de bonnes raisons de souhaiter la mort du vicomte de Trabard. Et qu’ensemble ils se sont ligués et ont agi de concert. J’affirme que si nousconsidérons l’ensemble des suspects, aucun, je dis aucun, n’était en possibilité de concevoir et de mener à bien à lui seul le plan diabolique destiné à supprimer le vicomte de Trabard. Cependant j’avoue n’être point encore satisfait de cette hypothèse.
À ce moment un exempt vint parler à Bourdeau. Ce dernier s’approcha de Nicolas et lui murmura quelque chose à l’oreille.
— Messeigneurs, voici qu’on m’informe d’une bonne nouvelle. Le vas-y-dire enlevé par Diego Burgos et dont on avait perdu la trace a été retrouvé. Il vient d’être conduit au Châtelet. Il va comparaître et sans doute aura-t-il des révélations à nous faire.
Il fit un geste de la main.
— Qu’on le fasse entrer.
Conduite par la main par l’exempt, une petite forme en haillons, pieds nus, s’avança. Sa tête avait été recouverte d’une sorte de cagoule de laine munie d’ouvertures à hauteur des yeux.
— Avant que d’entrer dans le menu de son aventure, je souhaiterais demander à cet enfant s’il est en mesure de reconnaître quelqu’un parmi les suspects.
L’enfant regarda Nicolas puis fit quelques pas hésitants vers la ligne des prévenus. Il défila devant chacun d’eux en les dévisageant longuement. Il s’arrêta enfin, haussa la tête comme s’il réfléchissait, puis tendit un doigt et désigna Decroix.
— Menteur ! Petit menteur. Est-ce qu’on va croire ce friponneau ? Et d’ailleurs, pourquoi est-il masqué ?
L’enfant s’était réfugié près de Nicolas. Decroix continuait à déverser des litanies d’injures et se démenait dans ses liens.
— Il semble, dit-il, que ce témoignage est clair. Ce serait donc Decroix qui aurait mandaté un vas-y-dire pour l’achat en question.
Decroix finit par se dégager des mains des exempts qui essayaient de le maîtriser et se jeta en avant. D’un geste de ses bras liés il fit tomber la cagoule de l’enfant.
— On vous trompe. Ah ! Je le savais bien. Ce n’est pas lui, ce n’est pas lui. C’est une infamie ! Je demande justice !
— Il demande justice. Mais elle va passer, la justice. Considérez, messeigneurs, ce à quoi nous venons d’assister. M. Decroix ne reconnaît pas le vas-y-dire ! Qu’est-ce à dire ? Qu’il était en mesure de reconnaître le vrai vas-y-dire ? Oui, sans conteste ! Or, au grand jamais, il n’a été question
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