L'année du volcan
reviendrai. Notre enquête a prouvé que le vicomte de Trabard, préalablement drogué et anéanti par une forte dose de liqueur soporifique, a été conduit inconscient jusqu’aux écuries.
— Cette liqueur, dit Sartine, quelle était-elle et d’où provenait-elle ?
— Après investigation, il appert que la vicomtesse de Trabard usait de liqueur d’Hoffmann pour remédier à de fréquentes insomnies. Nous en avons retrouvé cinq fioles dans l’appartement du secrétaire Diego Burgos après sa fuite.
— Avez-vous enquêté sur leur provenance ? demanda Sartine se penchant en avant.
— Certes ! Dûment interrogée, Nicole, la femme de chambre de Mme de Trabard, a avoué les commander chez Gerault, apothicaire rue Saint-Jacques. Les fioles vides retrouvées avaient contenu de quoi assommer un bœuf comme nous l’a confirmé l’apothicaire. La femme de chambre justifiait ces importantes commandes par la maladresse de sa maîtresse qui en brisait souvent en les manipulant.
— C’est vrai, j’ai des tremblements, dit la vicomtesse d’une voix à peine audible.
— Or, reprit Nicolas, Sanson, ayant poursuivi ses investigations sur le corps de la victime, a pu déceler qu’il avait absorbé une forte quantité de la liqueur d’Hoffmann. Cela laisse supposer qu’il a été traîné ou porté inconscient dans le box de Bucéphale. Pour assurer le crime, la porte du box était verrouillée. Aurait-il par miracle repris conscience que la voie pour échapper à la fureur provoquée du cheval aurait été impossible.
— Vous supposez donc que M. de Trabard a été drogué ? D’autres faits viennent-ils corroborer cette affirmation ?
— La victime était pieds nus, souillés de terre. Ce n’est que plus tard que Diego Burgos nous a rapporté ses mules dont au demeurant les semelles étaient propres. Elles avaient été, nous affirmait-on, retrouvées sur la pelouse.
— Qui l’avait affirmé ? demanda Le Noir, prenant Sartine de court.
— Diego Burgos. Il faut comprendre, pour résumer, que tout nous fut présenté afin de nous faire accroire un déroulement logique des événements. Le vicomte de Trabard, en vêtements de nuit, décide de se rendre dans le box de Bucéphale où il s’enferme et là, l’étalon, furieux contre un homme qui l’aurait frappé, le piétine sauvagement. Tout cela ne tient pas. Qu’allait faire le vicomte à cet endroit ? Se serait-il enfermé lui-même dans le box alors que le loquet est extérieur et des plus malaisés à manœuvrer de l’intérieur ?
Il y eut un long silence. Chacun attendait la suite.
— Messeigneurs, ce que nous avons découvert dans le box de Bucéphale, vous le savez, a aussitôt orienté nos investigations dans un autre sens. Dans la mangeoire du cheval, transformée en une discrète cachette, nous avons recueilli des pièces de monnaie étrangères et surtout un vestige d’un écrit qui laissait entendre que Trabard fournissait à un correspondant des éléments alimentant les libelles et pamphlets trop souvent multipliés en provenance des places étrangères. Dans l’appartement du vicomte régnait le plus grand désordre. Il semblait qu’on eût tout bouleversé à la recherche de quelque chose.
— Mais, dit Sartine, n’est-ce pas la preuve que cet appartement a été fouillé après la mort du vicomte ?
— Je ne le crois pas. Le ou les assassins ont drogué le vicomte d’une manière qu’il faudra éclaircir, sans doute au cours de son souper. Alors qu’il était inconscient, je suppose que son appartement a été fouillé de fond en comble, sans succès. Et peut-être devons-nous dissocier l’acte criminel et la main quia rempli ce que contenait la mangeoire. Il reste une dernière possibilité. Le désordre de la chambre du vicomte serait un faux-semblant destiné à donner le change. Les documents et l’argent que contenait la mangeoire auraient été retirés du lieu en question avant le crime et ce n’est que par un malencontreux hasard que des traces de ce contenu sont demeurées en place et ont été découvertes.
— Et qui l’aurait ôté de sa cachette ? demanda Le Noir, interloqué par ce que venait d’avancer le commissaire.
— Qui sait ? Peut-être le mystérieux personnage venu dans la soirée en voiture de cour ?
Sartine s’agitait, les marteaux de sa grande perruque ondulant au gré de son mouvement.
— Qui n’est, ajouta Nicolas, je m’empresse de l’affirmer,
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