L'arbre de nuit
et aux bouillons d’herbes.
Son sac porté en bandoulière était comme d’habitude gonflé des raretés de sa récolte. Le bilan de son équipée comprenait deux éléphants rencontrés nez à trompe au sortir d’un couvert, et une brassée d’une plante de la famille des aristoloches. Sa racine amère broyée dans de l’eau guérissait de l’antac, comme on nommait ici une maladie contractée lors du commerce avec les femmes cafres. Un chef macua qu’il avait libéré d’un abcès dentaire lui avait offert le choixentre une sagaie d’apparat et deux vierges luisantes de beurre de karité. Il s’appuyait sur la sagaie.
Assis sur le banc qui leur tenait lieu d’antichambre sous l’auvent de palmes, Jean quitta ses sandales avec précaution. Tous les Européens souffraient à Mozambique d’ulcères plantaires causés par la chaleur du sol, qu’il ne fallait surtout pas laver dans les eaux douces infestées de larves d’insectes. L’eau de mer qui les soulageait un moment empêchait leur cicatrisation.
Il grimaça de douleur et ferma les yeux.
— Je souffre beaucoup des jambes maintenant. Cette tournée m’a épuisé. J’ai laissé Pascoal continuer seul.
Il creusa ses reins et redressa péniblement son buste. L’humidité saturante qui ne se transformait jamais en pluie s’évaporait déjà en brume légère. Le spectacle de lumière étant terminé jusqu’au soir, le paysage était redevenu ennuyeux. Une nouvelle journée blanche commençait, terriblement identique aux autres. François écrasa sur son poignet un moustique qui se sublima dans une petite éclaboussure rouge. Elle n’était pas causée par l’éclatement du minuscule système artériel de l’insecte diptère mais témoignait seulement de son dernier repas. Il s’agissait donc d’une femelle. La tentation d’une dernière gorgée avait été fatale à la noctambule attardée qui avait passé la nuit à se goinfrer de sang en inoculant assez d’hématozoaires pour faire monter la fièvre dans tout le quartier de Santo António. Jean se méfiait de la nocivité possible de ces cousins piqueurs et il savait gré à Fleur des bâtonnets qu’elle allumait chaque soir avant de les quitter pour retourner dans sa case familiale. Dégageant une fumée piquante, la combustion lente de cette substance fibreuse composée apparemment de bouse et de pulpe de végétaux séchés avait le pouvoir d’écarter les moustiques et leur insupportable bourdonnement suraigu.
— Raconte !
Jean avait appris des informations prodigieuses sur la situation de Mozambique en accompagnant la tournée de traite de Pascoal d’Almeida.
— En apparence, Mozambique qui ne produit rien est bienheureuse de trouver sur la terre ferme sa maigre subsistance, le mil, le riz, des légumes et un peu de bétail étique. Elle est sur ce point totalement dépendante de Muzura, un royaume secoué de guerres tribales endémiques.
— Elle y puise même une mauvaise eau à boire.
— Mais pas que ça. L’horreur et la stérilité de cette île insalubre cachent en réalité un trésor africain. Les Portugais collectent dans tout le Monomotapa, à grands peine et danger sans doute, des défenses d’éléphant et de l’or.
La poudre et les pépites d’un or exceptionnellement pur étaient charriées à foison par toutes les rivières du royaume depuis le Zambèze nommé Couama jusqu’au cap des Courants. Les Cafres les recueillaient dans des claies très fines tendues dans leur lit. Ils collectaient aussi des pierres de bézoard. Jean détrompa François sur la nature de ces curiosités. La pierre de bézoard n’était pas un minéral mais une concrétion ligneuse grosse comme un œuf de poule qui se formait dans la panse de certains ruminants, en particulier des boucs et des gazelles.
— Et cette cochonnerie a de la valeur ?
— Quelle affaire ! Mieux encore que la corne de rhinocéros ou la dent de vache marine ! La plus précieuse production de ce pays sous le tropique du Capricorne.
— Et pour quelle raison cet œuf dégoûtant est-il un œuf d’or ?
— Garcia da Orta le considère comme un fortifiant contre la lèpre, les infections et les maladies de langueur. Vrai ou faux, on le croit efficace en tout cas et ça suffit à lui donner son prix. D’autant plus qu’on considère aussi cette panacée comme un antidote du poison et des morsures de serpents ou des chiens enragés. Et comme un stimulant de l’insuffisance
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