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L'arbre de nuit

L'arbre de nuit

Titel: L'arbre de nuit Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: François Bellec
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chercher tous les deux jours l’eau à la source de la Cabaceira, sur la terre ferme. L’unique puits de l’île de Mozambique ne donnait qu’un peu de liquide boueux et légèrement saumâtre qu’il fallait faire bouillir et laisser décanter. La citadelle disposait de citernes remplies à la saison des pluies. La quête répétitive de l’eau potable procurait à Fleur le plaisir ineffable de traversées en pirogue qu’elle appelait du nom distingué d’almadie comme les Portugais. De jour et de nuit, leurs rapports étaient gentils, naturels et très agréables, sans complications mentales.

    Dans un froissement râpeux et tintinnabulant devenu familier, François traversa la portière faite de lanières de latanier enjolivées d’éclats de nacre, de grosses graines couvertes d’un tégument gris luisant et de porcelaines cauris. Elle arrêtait les mouches en laissant passer l’air et les moustiques, les mosquitos , l’engeance dont le nuage diffus faisait vibrer les nuits tropicales. Il se redressa sur le seuil en s’étirant comme un chat. Il faisait encore frais mais il sentit comme chaque matin une buée perler déjà sur son front. Il l’attendait avec plaisir parce qu’elle manifestait dans la fraîcheur éphémère de l’aube la toute-puissance des tropiques et du même coup la dimension de son aventure.

    La plage toute proche donnait sur une étendue laiteuse d’un vert pâle. Elle s’étirait d’un trait clair vers l’est, jusqu’aux îlots São Jorge et Santiago qui découvraient à trois ou quatre lieues au large, à travers un plan d’eau d’un bleu tirant sur le mauve. Ces effets contrastés de la mer signifiaient que toute cette partie du rivage était infestée de hauts fonds, obligeant les navires à gagner le mouillage en les contournant par le nord des îles et de la forteresse. De l’autre côté, vers l’ouest, la baie était profonde et saine mais depuis la première attaque des Hollandais quatre ans plus tôt, les navires désarmésrestaient abrités sous les canons du fort São Sebastião. L’aurore se préparait à terminer sa courte veille et à passer la suite au jour. Au-dessus des îlots, le ciel était comme à l’accoutumée d’un bleu lumineux qu’un semis dru de flocons roses faisait paraître vert. Ils annonçaient l’arrivée imminente du soleil.
    La façade de mer de la forteresse s’enflamma brutalement d’un orange vif quand il parut. Sur la gauche, vers la terre ferme, Mozambique était un tapis de palmes et de chaumes roussâtres, depuis les toits pentus des quartiers cafres jusqu’aux terrasses de ce qui restait de la bourgade européenne. Surgissant des vagues de cette petite mer végétale, les mâts des navires au mouillage se dessinèrent d’un coup en traits de lumière vive sur le fond de ciel d’Afrique encore sombre, dont le gris sembla brusquement violet. Le soleil montait étonnamment vite comme s’il était pressé de se décharger de la chaleur torride qui allait écraser nature, bêtes et gens, et faire bourdonner les mouches.

    François et Jean logeaient là depuis trois mois déjà. Jean était parti depuis une semaine nomadiser sur la terre ferme à la recherche de fruits et de baies. Le lendemain de leur débarquement et avant d’être brutalement interdit d’exercer la médecine, il avait soigné les brûlures superficielles de Pascoal Flori d’Almeida, le facteur responsable des acquisitions du comptoir, un miraculé de la combustion accidentelle d’un baril de poudre qui avait fait vingt morts lors du siège. Partant en tournée de traite, son obligé lui avait proposé de l’accompagner pendant quelques jours.

Un gros insecte traversé d’un très long bâton se rapprochait lentement à contre-jour en compagnie d’une manière d’arbre ambulant. Les formes grotesques se révélèrent être Jean, aidant sa marche lourde d’une canne démesurée, et un jeune Cafre portant sur sa tête un énorme ballot d’herbes et de feuillages. L’apothicaire venait de débarquer d’une almadie. Il était visiblement éprouvé par sa randonnée au Macuana et à la Cabaceira. Il avait contracté le mal de Luanda pendant la remontée du canal de Mozambique. Quelques taches d’hémorragies cutanées dont des hématomes révélateurs sous les paupières, une poussée de pétéchies, les jambes lourdes et les articulations douloureuses ne trompaient pas sur la gravité de cette attaque qu’il soignait au sirop de violette

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