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L'arbre de nuit

L'arbre de nuit

Titel: L'arbre de nuit Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: François Bellec
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veilles quand une sœur vint en hâte l’avertir à six heures du matin que la senhora de Galvào la réclamait. Dès qu’elle entra dans la salle où reposait l’agonisante, elle lui fit signe de s’approcher de son visage. Elle lui demanda dans un souffle de prier les sœurs infirmières de se retirer un instant et de les laisser seules avec les mourants autour d’elles.
    Margarida réapparut vingt minutes plus tard. Elle était blême. On attribua cette pâleur mortelle au chagrin d’avoir fermé les yeux de tante Zenóbia mais il n’y avait pas que cela.

François se tourna sur le côté, s’appuya sur son coude et parcourut du regard le dos de la mulâtresse couchée en chien de fusil. Elle était frêle. Ne sachant pas grand-chose de l’anatomie des femmes, il lui sembla que la plus grande partie de sa chair était contenue dans ses fesses rebondies, indécentes comme un luxe épicurien dans la culture frugale de Mozambique. Il effleura sa colonne vertébrale du dos de son index, dénombrant ses vertèbres une à une. Sa peau ambrée, ses attaches fines et ses longs cheveux noirs confirmaient que non seulement les Portugais mais aussi toutes les races orientales se métissaient depuis longtemps avec délice dans les abris ombreux des pourtours de la mer des Indes.
    Il l’avait baptisée Fleur, pour sa souplesse légère qui contrastait comme un remords de la nature avec la morphologie et les articulations lourdes des Cafres. Elle était un joli rêve après leur cauchemar. Pour parfaire l’effet, il lui plantait dans les cheveux des étoiles mauves qui fleurissaient en grappes sur des arbustes de leur voisinage. En herboriste royal, Jean nommait la fleur Hibiscus pedunculatus , de la famille des Malvacées. Cette gentille agacerie contrariait la jeune femme car cela n’était pas l’usage à Mozambique. À Dieppe non pluscela ne se faisait pas, pensait François, faute d’ Hibiscus pedunculatus sans doute.
    Fleur était comprise dans le loyer de leur case. Elle la balayait méticuleusement, derrière en l’air, avec une poignée de feuilles de latanier, chassait les fourmis, les insectes rampants et les lézards, et préparait le cange, une bouillie légère de riz et de mil pilés constituant l’ordinaire du lundi matin au dimanche soir. Dans certaines circonstances qu’elle déterminait elle-même, elle l’agrémentait de mocates, des galettes plates de mil en partie mal cuites et partiellement brûlées sur un réchaud au charbon de bois. Quelques très grands jours étaient marqués d’un macaoua, un poisson séché frit au gerselin, une sorte d’huile de colza d’une amertume à rendre anorexique.
    Elle secouait aussi leurs nattes et le cas échéant, elle restait après son travail passer la nuit sur celle de François. Elle avait annoncé gaiement savoir jouer simultanément avec tous les locataires de la case. Devant l’incompréhension manifestée par ses nouveaux maîtres, elle n’avait pas voulu s’expliquer plus avant. Elle avait dit plus tard à François qu’il était différent des autres locataires. Plus distingué et pas affolé comme eux par les femmes. Fleur était très intriguée par sa pudeur et trouvait bizarre qu’il attendît l’absence de son compagnon pour la garder la nuit. Cette liaison occasionnelle avait mis quelque temps un léger froid dans ses relations avec Jean. L’apothicaire n’était pas jaloux, lui-même fréquentant une Éthiopienne d’assez fière allure, et n’imaginant d’ailleurs pas faire le voyeur. Simplement, il s’agaçait de donner à la mulâtresse, qui n’aurait eu aucune gêne à faire l’amour en sa présence ni même à le faire simultanément avec lui, l’impression que François le bernait dès qu’il avait le dos tourné.

    Le vocabulaire portugais de Fleur était limité à quelques mots de base, parmi lesquels claro jouait un rôle déterminant. Elle répondait ainsi, sourcils froncés par l’attention, à tout ordre ancillaire sans forcément que cela signifiât qu’il serait suivi d’effet ni préciser quand. Claro indiquait que la jeune femme avait enregistré le souhait. Qu’elle eût ou non l’intention delui donner suite, il n’y avait pas lieu d’y revenir. De toutes façons, l’environnement élémentaire de l’île empêchait de lui demander autre chose que les tâches évidentes qu’elle accomplissait d’elle-même parce qu’il n’y avait rien d’autre à faire au quotidien. Sinon aller

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