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L'arbre de nuit

L'arbre de nuit

Titel: L'arbre de nuit Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: François Bellec
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sexuelle.
    Fleur émergea à ce moment du cliquetis de la portière. Elle portait pour sortir la chemise en indienne longue et décente exigée par les prêtres et tenait par son anse la cruche qui servait à remplir la jarre de réserve.
    — Bonjour François. Ah ! Bonjour maître João. Tu es de retour ? Pas trop fatigué ? Il n’y a bientôt plus d’eau. Je vaisà la Cabaceira. Je fais quelque chose maintenant ? Non ? Claro .
    Elle alla cueillir au passage une fleur d’hibiscus et elle attira de loin l’attention de François pour lui montrer qu’elle voulait bien lui faire le plaisir de se la planter dans les cheveux. Elle s’éloigna, la cruche en équilibre sur la tête.

    — Dom Estêvão achève les trois ans de son mandat et l’on attend dom Rui de Melo pour le relever. Sous son allure de moine soldat et quoi qu’il en dise quant aux faibles ressources de l’arrière-pays, le gouverneur tirera de ses fonctions plus de trois mille écus, toutes soldes et dépenses de la garnison, libéralités et redevance royale payées.
    — Au moins défend-il dignement sa fortune les armes à la main.
    — Sa charge n’est pas seulement une prébende, j’en conviens. Ses pangais, comme ils appellent les grandes pirogues du canal de Mozambique, vont troquer le long du littoral des cotonnades d’indigo et des bimbeloteries de verre apportées par les caraques contre des défenses d’éléphant du plus bel ivoire et des pierres de bézoard.
    — Ton ami le facteur ne doit pas être mal placé lui non plus pour tirer fortune de ses fonctions particulièrement exposées aux tentations et aux opportunités.
    — Je n’ai pas questionné Pascoal qui m’honore de sa reconnaissance et de son amitié sur ses revenus personnels mais c’est très vraisemblable. Un Francisco Mendes dont je sais seulement qu’il est juge des orphelins ou quelque chose comme ça, une fonction en tout cas d’une marginalité sociale extrême, parviendrait malgré tout à être presque aussi riche que le général. Les titulaires de charges trafiquent à perdre haleine. Bien entendu, tout cela déchaîne les haines et les passions au château.

    Une salve d’artillerie roula sur les collines de la terre ferme, soulevant un nuage piaillant de mouettes et de fous blancs et bruns. Elle fut suivie d’une douzaine de coups sporadiques d’un registre moins grave. Comme chaque mercredi, domEstêvão réchauffait les pièces des remparts et les maîtres canonniers des caraques entraînaient un peu leurs servants en économisant la poudre.
    — À en juger par leur obstination, les Hollandais semblent savoir que Mozambique n’est pas un simple hivernage morbide.
    — Ils ont été parfaitement informés par Linschoten. La menace se précise, comme dans tout l’Empire mais ici peut-être encore plus parce que c’est loin de tout.
    — Le Portugal pourra-t-il résister à ces pressions ?
    — Nous venons de constater de nos yeux qu’il en a la capacité mais la balance est inégale. D’un côté, les rouliers de la mer pétris de vase, d’écailles de harengs et de sel marin, le professionnalisme commercial implacable de la hanse, le savoir-faire bancaire et les capitaux des juifs réfugiés de partout, l’austérité et la rigueur morale luthérienne. De l’autre, un petit million de Portugais disséminés sous la langueur tropicale à l’ombre de leurs forteresses et de leurs crucifix plantés depuis le Maroc jusqu’à Macao. Le déséquilibre va devenir intolérable. Ont-ils beaucoup de grands serviteurs de la trempe de dom Estêvão ?
    Jean reprit son souffle.
    — Je suis épuisé, François. Ce voyage n’en finit pas. Quand j’attendais à Marrakech la caravane pour Salé, je m’énervais d’être retenu quelques semaines dans un paradis. J’étais un sot. Nous avons manqué disparaître dans la mer antarctique, nous sommes dans cette fournaise incandescente depuis début septembre et il nous reste bon gré mal gré au moins trois mois à attendre dans un désœuvrement fiévreux. Glacé ou torride, c’est toujours l’enfer. Quel jour sommes-nous ?
    — Le 10 décembre, si je n’ai pas fait d’erreur en cochant les jours. Un mercredi, comme vient de le confirmer l’artillerie. En fait, plus que toi peut-être, qui es un voyageur aguerri, ma crainte obsessionnelle est d’oublier de compter les jours. De ne plus en éprouver l’envie ni le besoin. Nous avons quitté Rouen le 6 novembre, voici

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