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L'arbre de nuit

L'arbre de nuit

Titel: L'arbre de nuit Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: François Bellec
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regard fuyant et à son court vêtement d’un noir roussi et lustré, ils l’identifièrent comme étant un marrane. Le chirurgien-major de la garnison exerçait avec une résignation aigre les fonctions les plus déprimantes offertes aux médecins de la Carreira da India. Ses principales occupations à Mozambique étaient de constater les fièvres malignes, d’attendre le retour périodique d’épidémies contre lesquelles il ne pouvait rien, d’agiter les bras enmoulinet pour repousser un instant le nuage de moustiques et de contresigner chaque jour la liste des morts dressée par le curé doyen. La rumeur estimait à une vingtaine le nombre de cadavres jetés quotidiennement dans les fosses communes creusées dans le cimetière, un terrain vague qui s’étendait à l’est des glacis de São Gabriel sous le bastion Santo António. Ils étaient plus raisonnablement moins d’une dizaine, ce qui faisait quand même beaucoup pendant la durée d’un hivernage. On disait que Mozambique était un ossuaire, et il était vrai que les fossoyeurs devaient creuser et recreuser à la pioche des tombes et des fosses dans un terrain devenu impraticable aux pelles tant il était constitué d’ossements intriqués.

    L’interrogatoire scientifique parut ridicule à François qui fut impressionné par la capacité de Jean de s’y prêter en feignant une attention déférente. Il se souvint que, dans une vie antérieure, il avait révélé son plaisir à jouer la comédie pendant leur visite du monastère de Belém. L’examen de contrôle tourna à un échange pédant de concepts abscons. Il s’agissait de savoir, en assenant Orta, Avicenne, Pline et Dioscoride, si une racine verdâtre reconnue de part et d’autre comme turbith purgatif était ou non turbid, terbet, thapsie laiteuse, turpetum ou tripolion, gomme ou racine gommeuse et dans ce cas turpiti gommosi, ce qui changeait tout quant à sa capacité de purger le flegme, en association éventuelle avec le gingembre.
    La dague vola une troisième fois vers le chambranle de la porte, et le gouverneur déclara que ce débat suffisait à l’éclairer sur les capacités médicales du Français.

    Jean et François furent priés de se tenir hors de la forteresse et de ne se livrer en aucun cas à des pratiques thérapeutiques tant qu’ils n’y seraient pas expressément conviés sur son ordre personnel en cas d’épidémie. Il leur recommanda de ne pas manquer l’appareillage quand la flotte reprendrait la mer.
    — Il vous resterait sinon l’alternative de rester à Mozambique exercer votre art jusqu’à ce que mort s’ensuive, ou deretourner à Lisbonne à fond de cale, des fers autour des chevilles, grignotés lentement par les rats.
    La sentence qui les libérait n’était manifestement pas du goût de leur dénonciateur, et ils surent gré à dom Estêvão de ne pas leur tenir rigueur de la mort de son père devant Fort Coligny.

Le lendemain, l’état de Custodia da Costa s’aggrava d’un coup. Elle s’éteignit à une semaine de ses dix-huit ans en demandant à ses compagnes de l’excuser de les quitter en chemin.

    La senhora de Galvào restait écrasée par la disparition irremplaçable de sa bague. L’histoire de ce bijou de famille était fabuleuse. Henri le Navigateur, qui le tenait de son père João Premier, l’avait offert à Gil Eanes dont descendait la grand-mère de Margarida. Gil venait d’oser franchir en 1434 le cap Bojador et d’entrer le premier dans la mer des Ténèbres. Zenóbia assumait la faute d’avoir maladroitement égaré le bijou culte de la famille et elle avait perdu du même coup son talisman. Malgré les réconforts et les cajoleries de sa nièce qui la suppliait de ne pas l’abandonner, dona de Galvào se laissait mourir. Parce que le chirurgien-major multipliait des saignées imbéciles, Margarida remua ciel et terre pour obtenir la visite du médecin français. Devant l’inflexibilité du gouverneur, elle brava les convenances et sa fierté pour aller elle-même à sa recherche dans le village. L’apothicaire et son compagnon s’étaient volatilisés sans se soucier de leur sort. Dans son affolement de ne pouvoir empêcher sa tante de s’enaller dans l’inattention égoîste de tous, il lui monta une sorte de rage. Elle détesta vraiment François.

    Le 28 septembre, Zenóbia fut transportée à l’hôpital et un prêtre lui administra l’extrême-onction. Le 30, Margarida dormait épuisée par ses

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