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L'arbre de nuit

L'arbre de nuit

Titel: L'arbre de nuit Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: François Bellec
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son schéma des Indes Orientales, leur corrélation et leur équilibre. Guillaume était meurtri d’être tributaire de ce que voulaient bien révéler les Portugais. Il était mal à l’aise surtout de faire autorité sur des pays qu’il n’avait jamais vus. Il avait trop à faire ici pour voyager au loin disait-il. Il savait bien en réalité qu’il n’avait pas eu le courage de partir.
    François qui manipulait nerveusement une plume la reposa brusquement et plaqua sa main sur l’Inde à peine esquissée.
    — Moi, je vais aller en Inde.
    Guillaume se retourna et sourit. Réalisant après quelques instants qu’il ne s’agissait pas d’une boutade, il se figea, les sourcils froncés. François restait silencieux, interloqué, comme dépassé par les conséquences d’une pulsion inconsciente. Il se mit à parler lentement en regardant le maître dans les yeux.
    — En vérité, au contraire de toi, ce n’est pas la Jave qui m’intéresse. Ni les mystères de la terre australe. Cette abstraction m’est indifférente. Non. Moi, je vais aller voir de mes yeux les contrées que tu dessines par-dessus mes marteloirs. Respirer l’Inde. Marcher dans les rues de Goa.
    Stupéfait, le cartographe lui rendait son regard, le front réprobateur. François cherchait ses mots ou plutôt rassemblait ses idées fragmentées de silence en silence.
    — Je veux vivre le quotidien de cette capitale dont Linschoten nous a donné quelques estampes. Elles magnifient surtout ce qu’elles ne montrent pas. Là-bas s’exprime aujourd’hui le génie de notre civilisation. Son avenir peut-être, dans un nouvel Éden où races, cultures et religions se mêleront sans se détruire l’une l’autre.
    Guillaume réagit sèchement. La déclaration d’émancipation de son assistant l’avait blessé. Parce qu’elle ravivait la nostalgie d’une quête à laquelle il avait lui-même renoncé, il fut brusquement un peu jaloux de François.
    — C’est donc ça qui te travaillait depuis deux semaines. D’où te sort une folie pareille ? Quel optimisme, jeune naïf ! L’intolérance est viscérale et universelle, voyons.
    — L’homme ne peut être naturellement mauvais. Les cultures ne se combattent pas forcément.
    — Les races s’abhorrent depuis que l’homme est sur la terre. La haine de l’autre est l’une des armes dont sont dotés le règne animal et l’humanité. Topinambous et Margaïas s’entretuent, se dévorent au nom de la coutume. On étripe, on viole, on brûle en éprouvant la jouissance suave et forte d’exercer un droit naturel de torture et de mort.
    — Les gens civilisés ne se dévorent pas entre eux.
    — Tiens donc ! À pleines dents ! Au sein même de la chrétienté, la controverse entre papistes et luthériens n’est pas seulement théologique. Il n’est pas besoin de partir outre-merpour déterrer des preuves à charge dans les charniers de Wassy et d’Anvers. Compterais-tu pour rien la Saint Barthélémy ? Tu étais presque né. Et les autodafés ? On flagelle, on empale, on pend, on met en quartiers, on brûle, on noie en braillant le nom de Dieu. Comment reconnaît-il les siens là-haut parmi ces clients de Satan ?
    François regardait Guillaume avec attention. Décontenancé, il n’osait pas gratter trop fort le vernis de ses propres certitudes mais il ne comprenait pas très bien la raison de son irritation. Voulait-il démolir son rêve ?
    — La cupidité fait le reste dans les nouveaux mondes. Le père Las Casas a dénoncé il y a à peine cinquante ans la destruction des Indiens d’Amérique par les Espagnols. Crois-moi : ton nouvel Éden est forcément avide, injuste, cynique et haineux.
    François se ressaisit et frappa à nouveau la table de la main comme s’il voulait faire prendre acte de sa détermination mais il s’imposait surtout à lui-même un point de non-retour.
    — Eh bien, Guillaume, voilà autant de bonnes raisons pour que j’aille voir par moi-même ce qu’il en est.
    Ils se disputèrent avec irritation, l’un construisant son projet, l’autre en démontant aussitôt les arguments. Des marchands de Saint-Malo, de Laval et de Vitré venaient d’armer de compagnie des navires pour les Indes orientales. L’estime dont on honorait la tradition corsaire des Costentin faisait espérer à François un passage à bord d’un Malouin. En débarquant à Goa d’un bateau français, il serait traîné tout droit dans l’une des geôles du

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