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L'arbre de nuit

L'arbre de nuit

Titel: L'arbre de nuit Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: François Bellec
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noctambules sous la lune.
    — Senhora, un secrétaire de dom Pedro de Estuniga est venu me remettre un pli pour vous. Sa seigneurie commandait une caraque dans la flotte de Goa qui a mouillé avant-hier sous le fort de São Julio de Barra.
    — Mon Dieu ! Un courrier de Goa ? J’imagine que cette missive a voyagé pendant plusieurs semaines.
    — Pardonnez-moi, senhora, le messager m’a confié que la traversée de son navire avait duré six mois pleins.
    Les deux femmes en restèrent coites un instant.
    — Eh bien, ma tante, voyons aussitôt ce courrier qui a tant voyagé pour nous parvenir.
    — Prendrons-nous le temps de nous défaire et de nous rafraîchir, Margarida ? Ce message attendra bien quelques minutes encore.
    — Il n’attendra pas plus, ma tante chérie. Ni ma curiosité. La flotte vient d’arriver à la grâce de Dieu après six mois de mer. Il convient d’honorer cette missive qu’elle vient d’apporter. De la recevoir avec un empressement à la hauteur des dangers qu’elle a affrontés. Rafael va nous défaire de nos capes et nous fera apporter de la citronnelle.
    Margarida prit le bras de dona de Galvão et l’entraîna vers le petit salon d’été. Un paysage des Açores aux agapanthes était peint en bleu sur un grand panneau en carreaux de faïence régnant entre les deux portes-fenêtres ouvertes sur une terrasse fleurie. Évora était folle d’azulejos.

    La lettre cachetée était imprégnée d’une senteur poivrée, indéfinissable et lointaine. Sans doute avait-elle été conservée dans le coffre enfermant les libertés du capitaine, les épices exemptes de droit accordées aux officiers et aux équipages des navires de retour. Il en émanait une odeur pathétique mêlée de moisi, d’âcreté, de santal et de muscade comme la manifestation impalpable mais insistante d’un ailleurs complexe et provocant.

    Dom Alvaro de Fonseca Serrão, intendant de l’arsenal des galères de Goa, portait encore le deuil de son épouse Maria de Graça, emportée en deux semaines par une fièvre sèche, quand il avait appris la mort accidentelle de son frère cadet par la flotte de 1605 appareillée peu après de Lisbonne. La menace hollandaise ayant fait suspendre pendant plusieurs mois les mouvements des armadas, il avait confié à la fin del’année suivante à un capitaine de la première flotte de retour cette lettre sollicitant la main de sa belle-sœur Margarida. Dom Alvaro annonçait en manière de résumé conclusif qu’il monterait à bord de l’amirale de la prochaine flotte envoyée de Lisbonne dès son arrivée dans l’avant-port de Goa, en espérant bien y retrouver sa future femme. La phrase était abrupte, assez maladroite en tout cas pour laisser planer un doute sur la disposition de son auteur, entre espoir d’homme amoureux et injonction de chef de famille. Elle laissa Margarida perplexe. La jeune femme connaissait peu son beau-frère, conservant de lui l’impression vague – qui ne la dérangeait pas – d’un mondain et d’un intrigant ambitieux. L’annonce du décès prématuré de sa belle-sœur Maria de Graça lui causait un chagrin sincère. Elle était convaincue que cette femme fragile et douce n’avait pas eu un caractère assez marqué pour accompagner outre-mer un homme dévorant la vie avec l’appétit de dom Alvaro.

    Sa surprise assimilée, la première réaction de Margarida fut un haussement d’épaules.
    — Alvaro est très présomptueux. Qu’il attende sur les quais de Goa s’il le veut. Je fais mon deuil. Lui, il a manifestement achevé le sien. Il tourne les pages de la vie bien trop vite. Il la feuillette. Ne le pensez-vous pas, ma tante ?
    Dona de Galvão le pensait en effet mais avec indulgence. Elle y voyait plutôt le signe d’une vitalité de bon aloi. Vivre à Evora était un privilège dont elle se félicitait chaque jour mais Zenóbia trouvait aussi absurde qu’inconvenant de décourager un homme riche et de belle prestance. Le ciel avait imposé à dom Alvaro l’épreuve d’un deuil. Son besoin de fonder très vite un nouveau ménage chrétien en terre de mission était appréciable. Sans interrompre un aussi beau plaidoyer, Margarida fit comprendre par une mimique éplorée qu’elle jugeait d’une ingénuité désarmante cette analyse chrétienne des motivations de son beau-frère. Sa demande en mariage toute affaire cessante la laissait de marbre et elle s’amusait de l’agitation de sa tante. Après une

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